Le 4 février 2013, par Geneviève Koubi,
L’arrêt du Conseil d’État du 30 janvier 2013, Michel A (req. n°339918) concerne des questions de responsabilité administrative, de l’État en l’occurrence, et la détermination des préjudices à prendre en considération pour une indemnisation, même si les dommages en cause pourraient aussi trouver leur source dans la situation irrégulière de la victime.
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Dans un arrêt du 8 avril 2010 (req. n° 08LY01531), la Cour administrative d’appel (CAA) de Lyon constatait que M. A exploitait depuis 1992 un élevage de sangliers ; que s’il avait demandé "un certificat de capacité et une autorisation d’ouverture d’un établissement d’élevage de sangliers" auprès du préfet du Puy-de-Dôme, celui-ci lui avait été refusé par une décision du 11 avril 1997 ; que, par la suite, un arrêté du 8 août 2000 mettait en demeure M. A de régulariser sa situation dans le délai de trois mois, "faute de quoi il devrait être procédé à l’élimination des sangliers présents dans l’élevage". La régularisation attendue n’ayant pas eu lieu, le préfet du Puy-de-Dôme ordonna, le 11 octobre 2000, "l’élimination des sangliers par l’administration, au frais de l’exploitant".
Or, cet arrêté préfectoral fut annulé par la CAA de Lyon le 15 décembre 2005 « au motif qu’en l’absence d’une situation d’extrême urgence ou de l’impossibilité d’assurer le placement des animaux, le préfet n’avait pu légalement ordonner leur abattage et y procéder d’office ». Cette décision de la Cour fut, d’ailleurs, confirmée par le Conseil d’État dans un arrêt du 6 juillet 2007, Min. Écologie et développement durable c/ Michel A. (req. n° 290376) : « la cour administrative d’appel de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la légalité de la mesure litigieuse était subordonnée à l’existence d’une situation d’extrême urgence ou à l’impossibilité absolue d’assurer le placement des animaux ; en outre, le ministre se borne à contester l’appréciation à laquelle s’est livrée la cour administrative d’appel pour juger que l’élimination des sangliers de M. A n’était pas, en l’espèce, justifiée ; un tel moyen n’est pas au nombre de ceux qui peuvent être invoqués devant le juge de cassation ; que son recours doit, par suite, être rejeté »...
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La situation pourrait apparaître cocasse [1].
Deux éléments se conjuguent : l’illégalité de l’arrêté préfectoral ordonnant la destruction du cheptel et la situation irrégulière du requérant éleveur de sangliers. La question classique de droit administratif sur le rapport entre "illégalité et responsabilité" trouve en l’espèce un dénouement intéressant.
En règle générale, l’irrégularité d’une décision administrative ne constitue que très rarement la cause directe des dommages. En l’espèce, c’est concrètement l’exécution de la décision illégale qui constitue la cause directe du dommage allégué - étant entendu que la présomption de légalité qui s’attache à tout acte administratif unilatéral (compris aussi comme le ’privilège du préalable’) a conduit à l’opération de destruction de l’élevage de sangliers, lui-même irrégulier. On peut penser que si l’exécution irrégulière d’un acte administratif peut être constitutive d’une voie de fait, l’exécution régulière d’un acte administratif irrégulier semble ne pouvoir l’être. Ces précisions nécessiteraient alors une réflexion complémentaire à propos d’un lien entre l’exécution d’une décision administrative illégale et la mise en jeu de la responsabilité administrative.
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L’objectif serait de retrouver la "cause déterminante" dans la genèse du préjudice. Or, l’illégalité commise par le préfet est bel et bien à l’origine du préjudice ; mais, en tout état de cause, doit être aussi retenue la situation irrégulière dans laquelle la victime s’est elle-même placée en ne disposant pas de toutes les autorisations indispensables pour la constitution d’un tel cheptel.
Dans son arrêt du 30 janvier 2013, Michel Imbert (req. n°339918 ), le Conseil d’État relève donc en premier lieu les principes clefs de la mise en jeu de la responsabilité administrative lorsque la personne lésée se trouve dans une situation illégitime, il les adapte ainsi quelque peu aux faits qui introduisent le recours [2] : « ... en principe, toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain ; ... la responsabilité de l’administration ne saurait être engagée pour la réparation des dommages qui ne trouvent pas leur cause dans cette illégalité mais découlent directement et exclusivement de la situation irrégulière dans laquelle la victime s’est elle-même placée, indépendamment des faits commis par la puissance publique, et à laquelle l’administration aurait pu légalement mettre fin à tout moment » (cons. 1).
Cependant, si l’on admet que "la décision de détruire ce cheptel n’était pas justifiée", et même si "le requérant exploitait sans autorisation un élevage en espace clos de sangliers", le fait que le requérant se trouvait dans une situation irrégulière au regard des normes d’exploitation d’un cheptel de sangliers ne devait pas empêcher la CAA de prendre en considération certains des préjudices dont l’intéressé demandait réparation et qui découlent directement de la décision ordonnant la destruction de ce cheptel. En estimant que quelques-uns des préjudices "étaient en lien direct avec l’illégalité de l’existence de cette exploitation" et qu’ils "ne pouvaient ouvrir droit à réparation", la CAA faisait donc une impasse sur le fait que la destruction totale du cheptel de Michel A reposait sur une décision illégale.
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En conséquence et en toute logique, le Conseil d’État demande à ce que l’affaire soit revisitée : « en refusant ainsi à M. Imbert tout droit à indemnisation, sans distinguer entre les préjudices dont l’intéressé demandait réparation, alors qu’au nombre de ces préjudices figurait celui correspondant à la destruction totale de son cheptel et qu’elle avait jugé, pour annuler l’arrêté préfectoral du 11 octobre 2000, que cette destruction n’était pas justifiée, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, M. Imbert est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué » (cons. 3).
Et l’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Lyon (art. 2).
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Exercices proposés :
1/ Cas pratique ’prospectif’ : Rédaction des conclusions devant la CAA de Lyon à la suite de cet arrêt du Conseil d’État du 30 janvier 2013.
2/ Dissertation : Exécution de l’acte administratif et mise en cause de la responsabilité administrative.
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Cours concerné : Droit administratif spécial.
[1] V. sur le site comptes-publics.fr : « Puy-de-Dôme : le Conseil d’Etat revient sur l’abattage des sangliers d’un élevage illégal et renvoie l’affaire ».
[2] ... cassation.