Le 22 octobre 2014, par Geneviève Koubi,
L’intitulé du décret n° 2014-1216 du 20 octobre 2014 modifiant le code de la sécurité intérieure (partie réglementaire : Décrets en Conseil d’État) ne permet nullement de saisir tout son intérêt. Les deux articles dont il signe la modification sont inscrits au titre du traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "Enquêtes administratives liées à la sécurité publique" et font état des modalités de consultation des fichiers qui en ressortent en signifiant les ’limites du besoin d’en connaître’. Or, en un contexte particulièrement marqué par des troubles ’extérieurs’ et des craintes redoublées d’une extension des débordements à l’intérieur, ces limites rapetissent.
Et, de ce fait, les petites variations que le décret introduit impriment une orientation suspicieuse à ces enquêtes administratives et accentuent les positionnements préfectoraux en la matière. Elles annoncent une restructuration larvée des ’services de renseignements’... sans oser directement répercuter la tonalité antérieure des RG (renseignements généraux) – alors même qu’un arrêté du 9 mai 2014 y faisait référence en envisageant l’application de la réforme des services de renseignement du ministère de l’intérieur - ce, en lien avec le décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l’organisation de la direction générale de la sécurité intérieure [1].
Les deux articles concernés sont les articles R. 236-6 et R. 236-16 du Code de la sécurité intérieure. Dans ces deux articles, « 1° Les mots : « de la sous-direction de l’information générale » sont remplacés par les mots : « du service central du renseignement territorial » ; et 2° Les mots : « services d’information générale » sont remplacés par les mots : « services du renseignement territorial » ».
La sous-direction de l’information générale comme les services d’information générale avaient été créés par le décret n° 2013-1113 du 4 décembre 2013 relatif aux dispositions des livres Ier, II, IV et V de la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure. Le « service central du renseignement territorial » et les « services du renseignement territorial » ne sont institués que par ce seul décret du 20 octobre 2014 [2].
L’article R. 236-6 du Code de la sécurité intérieure, relatif aux enquêtes administratives en général, disposait jusqu’alors : « Dans la limite du besoin d’en connaître, en vue de la réalisation d’enquêtes administratives, sont autorisés à accéder aux données mentionnées aux articles R. 236-2 et R. 236-3 : /1° Les fonctionnaires relevant de la sous-direction de l’information générale de la direction centrale de la sécurité publique, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur central de la sécurité publique ; /2° Les fonctionnaires affectés dans les services d’information générale des directions départementales de la sécurité publique, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur départemental ; /3° Les fonctionnaires affectés dans les services de la préfecture de police chargés du renseignement, individuellement désignés et spécialement habilités par le préfet de police. / En outre, peut être destinataire des données mentionnées aux articles R. 236-2 et R. 236-3, dans la limite du besoin d’en connaître, tout membre d’une unité de la gendarmerie nationale ou agent d’un service de la police nationale chargé d’une enquête administrative, sur demande expresse précisant l’identité du demandeur, l’objet et les motifs de la consultation. Les demandes sont agréées par les responsables des services mentionnés aux 1° à 3°. »
L’article R. 236-16 de ce code, visant particulièrement le traitement de données à caractère personnel dénommé "Prévention des atteintes à la sécurité publique", disposait pour sa part : « Dans la limite du besoin d’en connaître, y compris pour des enquêtes administratives prévues par l’article L. 114-1 du présent code et par l’article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, sont autorisés à accéder aux données mentionnées aux articles R. 236-12 et R. 236-13 : /1° Les fonctionnaires relevant de la sous-direction de l’information générale de la direction centrale de la sécurité publique, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur central de la sécurité publique ; /2° Les fonctionnaires des directions départementales de la sécurité publique affectés dans les services d’information générale, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur départemental ; /3° Les fonctionnaires de la préfecture de police affectés dans les services chargés du renseignement, individuellement désignés et spécialement habilités par le préfet de police ; /4° Le référent national mentionné à l’article R. 236-15 et ses adjoints. /Les fonctionnaires des groupes spécialisés dans la lutte contre les violences urbaines ou les phénomènes de bandes, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur départemental de la sécurité publique ou par le préfet de police, sont autorisés à accéder aux données mentionnées aux articles R. 236-12 et R. 236-13 relevant de la finalité mentionnée au deuxième alinéa de l’article R. 236-11. /En outre, peut être destinataire des données mentionnées aux articles R. 236-12 et R. 236-13, dans la limite du besoin d’en connaître, tout autre membre d’une unité de la gendarmerie nationale ou agent d’un service de la police nationale, sur demande expresse précisant l’identité du demandeur, l’objet et les motifs de la consultation. Les demandes sont agréées par les responsables des services mentionnés aux 1° à 3°. »
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Le texte entre en vigueur le lendemain de sa publication. Et les transformations de ces dispositions prendront leur effet... bien que les consultations de ces traitements automatisés de données à caractère personnel ne s’entendent que "dans la limite du besoin d’en connaître".
A l’article R. 236-6 du Code de la sécurité intérieure : « Dans la limite du besoin d’en connaître, en vue de la réalisation d’enquêtes administratives, sont autorisés à accéder aux données mentionnées aux articles R. 236-2 et R. 236-3 : /1° Les fonctionnaires relevant du service central du renseignement territorial de la direction centrale de la sécurité publique, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur central de la sécurité publique ; /2° Les fonctionnaires affectés dans les services du renseignement territorial des directions départementales de la sécurité publique, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur départemental ; ». A l’article R. 236-16 :« /1° Les fonctionnaires relevant du service central du renseignement territorial de la direction centrale de la sécurité publique, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur central de la sécurité publique ; /2° Les fonctionnaires des directions départementales de la sécurité publique affectés dans les services du renseignement territorial, individuellement désignés et spécialement habilités par le directeur départemental ; »
Il existe une redondance paradoxale puisque l’on évoque le "service central du renseignement territorial de la direction centrale de la sécurité publique... Le territorial est ici central, et inversement. Les préfets sont ainsi placés en première ligne... [3]
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Aussi restreintes que soient ces modifications dont l’objet est bien la "réforme des services de renseignement du ministère de l’intérieur", - même s’il ne s’agit, comme l’indique l’objet du décret, que d’un « remplacement de dénominations » -, en tant que linguistique et sémantique ne sont pas dépourvues d’incidences dans les textes juridiques, elles dessinent certaines perspectives qui ne sont certainement pas aussi anodines qu’on pourrait le croire. Non seulement, les nombre des agents habilités à consulter de tels traitements automatisés de données à caractère personnel, sensibles par nature, risque de s’amplifier mais encore les logiques de la sécurité intérieure se déploieront plus largement dans les sphères territoriales...
[1] V. plus particulièrement l’article 2 de ce décret du 30 avril 2014 : « Au titre de ses missions, la direction générale de la sécurité intérieure : /a) Assure la prévention et concourt à la répression de toute forme d’ingérence étrangère ; /b) Concourt à la prévention et à la répression des actes de terrorisme ou portant atteinte à la sûreté de l’État, à l’intégrité du territoire ou à la permanence des institutions de la République ; /c) Participe à la surveillance des individus et groupes d’inspiration radicale susceptibles de recourir à la violence et de porter atteinte à la sécurité nationale ; /d) Concourt à la prévention et à la répression des actes portant atteinte au secret de la défense nationale ou à ceux portant atteinte au potentiel économique, industriel ou scientifique du pays ; /e) Concourt à la prévention et à la répression des activités liées à l’acquisition ou à la fabrication d’armes de destruction massive ; /f) Concourt à la surveillance des activités menées par des organisations criminelles internationales et susceptibles d’affecter la sécurité nationale ; /g) Concourt à la prévention et à la répression de la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication. /Pour les seuls besoins des missions mentionnées aux alinéas précédents, elle contribue à la surveillance des communications électroniques et radioélectriques. ».
[2] Au niveau central, l’article 1er du décret n° 2013-728 du 12 août 2013 portant organisation de l’administration centrale du ministère de l’intérieur et du ministère des outre-mer dispose : « L’administration centrale du ministère de l’intérieur comprend : a) Le secrétariat général ; b) La direction générale des collectivités locales ; c) La direction générale de la police nationale ; d) La direction générale de la sécurité intérieure, service actif de la police nationale ; e) La direction générale de la gendarmerie nationale ; f) La direction générale des étrangers en France ; g) La direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises ; h) La direction générale des outre-mer ; i) La délégation à la sécurité et la circulation routières. ». L’article 6-1 de ce décret précise que « le directeur général de la sécurité intérieure dirige et coordonne les activités de (...) la direction du renseignement et des opérations ».
[3] - on peut penser que les instructions du gouvernement qu’ils seront amenés à recevoir en ce domaine ne seront pas toutes versées sur le site idoine des circulaires applicables.