Le 16 décembre 2008, par Geneviève Koubi,
La notion de « diversité », toujours indéterminée, ne serait-elle pas le signe qui sonnerait le glas de la philosophie républicaine des institutions françaises ?
Ne serait-il pas utile de (re)lire l’exposé des motifs et le dispositif d’une proposition de loi constitutionnelle [1] qui avait été enregistrée le 29 avril 2008 et mise en distribution le 13 mai 2008, alors que se profilait la révision de la Constitution ? Cette proposition de loi constitutionnelle n° 843 déposée devant l’Assemblée nationale évoquait l’interdiction pour tout « parti politique de se réclamer d’une religion ou d’une ethnie ». Son étude doit se comprendre indépendamment de l’appartenance de son auteur à un groupe politique donné, c’est-à-dire sans en retenir les présupposés et les implicites que la proposition de loi peut receler.
L’exposé des motifs relevait les conséquences sociales et juridiques de l’introduction du communautarisme dans les formes de représentation politique de la société civile.
Appréhendant le communautarisme comme induisant « la défense des intérêts spécifiques ou la recherche de droits particuliers pour un groupe ethnique ou religieux », relevant que l’amplification de ce phénomène dans la société française s’appuie « sur le terreau des difficultés liées à l’intégration », estimant que, « potentiellement dangereux, il peut à terme menacer directement l’indivisibilité de la République », le député auteur de la proposition notait que, malgré les dispositions de l’article 1er de la Constitution qui interdisent toute distinction fondée sur l’origine, la race ou la religion, « des partis politiques se réclamant ouvertement d’une religion ont ainsi fait leur apparition, s’adressant de façon discriminatoire à une fraction de la population en fonction de son origine ethnique ou de son appartenance religieuse ». Cette violation des principes fondateurs de la République française ne peut être saisie comme une simple dérive qui se dissimulerait derrière la garantie due à la liberté d’opinion, à la liberté d’expression et à la liberté de communication. D’autres champs sont ouverts pour l’exercice de ces droits et libertés, notamment à travers la reconnaissance des droits à la culture et des droits culturels [2]...
En effet, divers groupes et groupements, formels ou informels, sous la forme d’associations déclarées ou non, s’étant proclamés représentatifs de certaines communautés ou “minorités” [3], « profitent actuellement de l’absence de définition claire du parti politique » et se permettent, sur le fondement des revendications identitaires qu’ils relaient, de prendre part au débat public et de présenter des candidats aux élections.
Ces dérives sont aussi celles attendues d’une recomposition du corps social et de la classe politique à travers le concept de diversité que les discours présidentiels [4] et ministériels [5] déploient dans toutes les sphères et sur tous les terrains. La notion de représentation s’approche ainsi de plus en plus de l’idée de représentativité. Ce non-sens juridique lui fait perdre ainsi les dimensions politiques et générales inhérente à son institutionnalisation sociopolitique initiale [6]. Cette lecture analphabète de la représentation la tranforme radicalement en une image de “diagramme”, dans une figure de “reflet”. Dès lors, les instances représentatives qui, dans les champs décisionnels se devraient de prendre en considération la fonction politique et administrative de l’intérêt général, ne devraient plus se constituer autour de thèmes idéologiques ou pragmatiques. Elles seraient plutôt conduites à répondre à d’incertaines stratifications socio-ethniques du corps électoral… Les assemblées parlementaires, les conseils des collectivités territoriales et les organes délibérants des établissements publics deviendraient ainsi le miroir des apparences et des appartenances de la société civile [7].
Ainsi, si la participation aux élections est l’une des seules particularités des partis politiques « qui les distinguent d’une association ordinaire », au-delà des questions que soulèveraient immanquablement les modalités d’application de la loi du 11 mars 1988 à propos du financement de la vie politique si les groupements religieux, linguistiques, culturels ou ethniques, aux accents identitaires et parfois séparatistes, devaient en bénéficier et, de ce fait, percevoir un financement public à concurrence de leur participation et de leurs résultats aux élections législatives… Alors même qu’ils seraient de constitution religieuse, racialiste, nationalitaire [8], ils profiteraient des mânes de la République pour diffuser et insuffler d’autres logiques d’action particulièrement inductrices de divisions sociales.
Les références auxquelles les partis politiques doivent se référer sont énoncées à l’article 4 de la Constitution : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. /Ils contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi. / La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
De ces dispositions, logiquement et rationnellement, découle l’interdiction de partis politiques n’exerçant pas leur activités “librement”, c’est-à-dire soumis à des pressions externes et souvent pensées “extérieures” ne répondant pas aux principes de la souveraineté nationale [9], fondés sur des schèmes religieux contraires au principe de laïcité de la République, élaborés à partir de thèmes distinctifs en violation du principe de non discrimination et instituant des traitements différenciés selon le sexe [10]. Si de tels partis investissaient l’espace public, s’impliquaient dans les débats publics et influençaient insidieusement la conduite de la politique de la nation, ils devraient être soit dissous, soit déclarés nuls par décret en Conseil des ministres comme toute association « formée en vue d’une cause ou d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement » [11].
Une loi ordinaire ou organique pourrait ainsi, comme le proposait le député, parfaire ou compléter la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou la loi organique du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique dont les principales dispositions encore en vigueur ont été codifiées (Code électoral). Il s’agirait alors d’introduire « une interdiction spécifique aux partis politiques de se référer à une religion ». L’exclusive de la religion est ici assise sur des arguments implicites spécieux, l’objet est de signifier que la chose publique est d’ordre général et qu’elle ne peut obéir à des revendications particulières, notamment lorsque celles-ci se déclinent en demandes de mesures spécifiques, dérogatoires ou exceptionnelles, mettant en exergue une forme sociétale et, par là, culturelle donnée comme différente…
Notant que cette interdiction « apparaîtrait difficile à mettre en œuvre » par la voie législative, « tant la frontière entre une association ordinaire et un parti politique est mouvante [12] », le député remarque que, pour détenir une portée opératoire, elle « doit être une norme constitutionnelle destinée à compléter l’article 4. De surcroît, une telle norme renforcerait légitimement le principe de laïcité, fondement même de notre vouloir vivre ensemble ».
La proposition de loi comportait un seul article ainsi libellé : « L’alinéa 1er de l’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 est complété par une phrase ainsi rédigée : “Ils ne peuvent se réclamer d’aucune ethnie ni d’aucune religion” ».
Cette seule phrase qui serait à ajouter à un article 4 – qui a déjà été remodelé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 –, est sans aucun doute trop partielle ou partiale, et nettement insuffisante pour s’opposer à la communautarisation rampante de la société civile et aux instrumentalisations racialisantes des résultats de l’élection présidentielle aux Etats-Unis d’Amérique. Mais elle indiquait déjà non une des modalités juridiques potentielles, mais une préoccupation spécifique quant à la nécessité de freiner la tendance à la fragmentation sociale … que les perceptions officielles de la notion de « diversité » dessinent en outrepassant les définitions qui en ont été données dans les résolutions et déclarations de texture internationale pourtant signées par la France [13].
.
[1] présentée par le député J. Myard, UMP.
[2] V. outre les références biliographiques indispensables à rechercher dans les ouvrages et revues académiques, en droit ou en sociologique, quelques-uns des articles posés, sur Droit criTIC dans la rubrique « culture(s) et droit(s)->http://koubi.fr/spip.php ?rubrique6] »
[3] Terme non formellement retenu dans le cadre du système de droit français.
[4] V. par ex., La lettre annexée : retour à l’antienne de la “diversité”.
[5] V. par ex., Une “charte pour la promotion de l’égalité”.
[6] Qui permettait de fonder, pour une part, la distinction entre nation et peuple, la première se comprenant essentiellement dans l’ordre de la représentation.
[7] … ce qui suppose captation des individus sur le fondement d’une appartenance réelle ou supposée à une ethnie, nation, culture, etc. fondamentalement discriminatoire, ainsi que recensement, dénombrement, comptage, et fichages associés, pour des calculs alambiqués des quotas de représentants !
[8] contrevenant ainsi tant aux dispositions de la loi qu’à la Constitution, même dans sa mouture nouvelle.
[9] et devrait être rattaché à ce cadre, l’interdiction pour les personnes morales de droit étranger de financer un parti politique français : CE, 8 décembre 2000, Parti nationaliste Basque ERI-PNB, req. 212044 - concl. C. Maugüé, AJDA 2000, p. 769.
[10] Outre le 2ème alinéa de l’article 1er selon lequel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », il s’agit de retenir les dispositions l’alinéa 4 de l’article 3 : « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».
[11] art. 3, Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Mais, inévitablement, le précédent du FN pose problème.
[12] ajoutant : « certains groupuscules ne présentent pas de candidats aux élections mais interviennent dans le débat politique ».
[13] V. par ex., Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005.