Le 20 février 2008, par Geneviève Koubi,
Dans un discours du 15 février 2008 à Périgueux, le Président de la République a fait part une fois de plus de son désir de réformer l’école, de (re)lancer un débat public sur le système scolaire. Insistant sur le constat selon lequel « notre école ne se porte pas bien », ce discours use d’une image classique et toujours aussi ambiguë. Le préambule de 1946 ne précise-t-il pas que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat » ?
C’est encore avec des ‘chiffres’ que la démonstration du ‘sous-développement’ scolaire est déployée ; l’échec scolaire se compte à partir de ceux qui sortent de l’école en grande difficulté et de ceux qui accèdent au collège avec des ‘acquis fragiles’. Le résultat est alors que 40% des élèves entrent en 6ème avec un niveau insuffisant… Bien sûr, l’argument de la “place” de la France en Europe est brandi avec constance ; la performance scolaire devient un des enjeux de la compétitivité ; la France est en perte de vitesse dans le domaine des sciences !
Ce discours n’apporte aucune innovation. Le constat d’une « baisse du niveau scolaire » est récurrent ; il rythme chaque fin et chaque début d’année scolaire alors même que l’objectif de la réussite au baccalauréat reste fixé à 80% d’une classe d’âge. Toujours les mêmes solutions sont avancées comme celle de l’organisation des semaines de cours (24 heures au lieu de 26 heures mais en envisageant deux heures de cours complémentaires ou de soutien offerts à tous).
Cependant, parmi toutes les propositions égrenées par le Président de la République, certains souligneront une interrogation sur la fonction du droit : la fixation des programmes d’enseignement scolaire relève-t-elle du pouvoir législatif ? ou bien est-elle du domaine réglementaire ? D’autres préféreront en soulever une autre : que recouvre le principe fondamental de la liberté d’enseignement ?
Mais encore, si l’on retient la logique de ce discours, tout ce qui compte c’est le résultat… Or ce n’est pas le résultat obtenu par l’élève ; sa réussite ou son échec importent peu. Plus justement, ce qui doit être retenu c’est ce que l’enseignant sera parvenu à lui faire ingurgiter dans des connaissances puisées au sein de programmes définis non par les enseignants – si mal nommés ‘experts’ dans ce discours ! – mais par les élus, par les hommes politiques. La correspondance entre l’évaluation de l’école et l’évaluation de l’enseignant (mais non de l’enseignement puisque celui-ci sera posé par la loi ou le règlement) détient-elle un sens à l’heure où les mots de mobilité et de précarité sont conjugués ensemble ?
Si la proposition présidentielle est retenue, les programmes scolaires entreront dans le domaine de la loi. Les parlementaires devront alors trier dans la masse des connaissances, les disciplines devant être « apprises » plus que comprises par les élèves ; la « mémorisation » devient le maître mot de l’enseignement. Pourtant, le but premier de tout enseignement n’est-il pas d’élargir les champs du questionnement, d’ouvrir à la réflexion, d’éveiller l’esprit critique ? Cet éveil ne passe pas par la « morale ».
Evoquer une « éducation morale » revient à défaire le projet inscrit dans le Code de l’éducation d’une initiation, d’une formation à la citoyenneté et à l’exercice de la citoyenneté. La citoyenneté ne se résume pas à l’obéissance ni à la résignation, la citoyenneté est « discernement ». C’était l’enjeu d’une « instruction civique » et non d’une « éducation morale ».
Ne faudrait-il pas aussi retenir toutes les évolutions et toutes les variations qu’ont connu les différentes propositions tendant à la reconstitution d’une éducation morale détachée des formes de socialisation de l’enfant, de la vie en société ? Quel en est le contenu ? quelle en est la finalité ? En fait, « l’instruction civique et morale » à laquelle fait référence le Président de la République dans son discours du 15 février 2008 rappelle les formes d’une « Ecole du respect » ou celles d’une « éducation à la civilité » que des ministres de l’éducation avaient autrefois, il n’y a pas si longtemps, développées et qui pouvaient être tout aussi critiquées. [1]
Quel est le but de cette entreprise de reconstitution des programmes scolaires ? Le conditionnement de la pensée et le formatage du raisonnement ? Ne faudrait-il pas craindre alors en revers une « absence de pensée » (H. Arendt) ? N’y a-t-il pas un risque que l’enseignement soit en passe de devenir un instrument de « propagande » ?
Dans cette perspective où les politiques décideraient du fond et du contenu de l’enseignement, dès que les présupposés d’une éducation morale sont avancés dans le champs des valeurs destinées à restaurer l’autorité sans penser à l’épanouissement de l’enfant, et à partir du moment où les connaissances se voient réduites dans le cadre d’un savoir reconstitué à partir d’un « socle commun des connaissances et des compétences » recentré sur les mathématiques et le français, les connaissances « mémorisées » par les élèves risquent bien d’être celles que les gouvernants auront estimées indispensables pour assurer leur maintien en place... Mais encore, si emblème, drapeau et devise sont réunis au cœur de cette instruction civique et morale, comment est-il possible d’user de la référence aux dispositifs de « la lutte contre la discrimination » pour imprimer à l’enseignement de l’histoire contemporaine un autre modèle : est-il envisageable de faire de l’indicible et de l’innommable inhérents à la barbarie un mode d’appréhension « personnalisé » des pages d’histoire les plus sombres de l’humanité ?
Ce sont aussi des questions de « droit »...
[1] V. en document joint, bien que “daté” des années 2003-2004 : G. Koubi et S. Jean-Baptiste — version française — « Entre “civismo” y “civilidad”. La educación de la ciudadanía », Anales de la cátedra Francisco Suárez, n° 38-2004, Educación y democracia, Universidad de Granada, Espagne, p. 47 à 70 (en espagnol).