Le 16 mai 2011, par Geneviève Koubi,
L’arrêté du 2 mai 2011 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés “fichiers des résidents des zones de sécurité” créés à l’occasion d’un événement majeur ne semble pas avoir suscité de réactions particulières [1]. Pourtant, certaines de ses applications mériteraient d’être étudiées de manière approfondie. Si tel n’est pas l’objet de ce bref article, quelques-unes des questions que de tels « fichiers » supposent peuvent être signalées.
Un va-et-vient entre le texte de l’arrêté et l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés du 28 avril 2011 [2] est indispensable pour prendre la mesure des entraves à la liberté, et notamment à la liberté de circulation, que suppose la domiciliation de quelques-unes des personnes concernées. Car, en fin de compte, l’arrêté étant laconique, c’est dans la délibération de la CNIL du 28 avril que sont indiquées les informations pertinentes.
.
Le ton est donné dès l’article 1er de l’arrêté du 2 mai 2011 : « Le directeur général de la police nationale, le directeur général de la gendarmerie nationale et le préfet de police sont autorisés à mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel dénommés “fichiers des résidents des zones de sécurité” ayant pour finalité la gestion des titres permettant l’accès des personnes ou des véhicules aux zones à l’intérieur desquelles sont apportées des restrictions à la libre circulation et à l’exercice de certaines activités, afin de prévenir les troubles à l’ordre public et de garantir la sécurité d’un événement majeur. »
La détermination même de ces “zones de sécurité” est incertaine ; elle demeure aléatoire ; elle est indéniablement discrétionnaire. N’étant pas établies en vertu de critères précis [3] mais par rapport à des « évènements majeurs », ces zones peuvent aussi évoluer du jour au lendemain, se rétrécir ou s’étendre sans qu’une information précise sur leurs délimitations soient données au préalable.
.
Quels sont ces évènements dits « majeurs » ?
Comme le « sommet du G8 » à Deauville, les 26 et 27 mai 2011 en relève [4], il semblerait aisé de les définir. Cependant, parce que justement ce « sommet » en relève, il apparaît que tout déplacement de personnalités d’envergure pourrait être un événement majeur.
Pour autant, ce qui semble le plus justifier ce modèle, ce serait les manifestations de rue qui pourraient avoir lieu à l’orée de l’évènement lui-même. Pour la CNIL elle-même, « les zones de sécurité définies à l’occasion d’événements majeurs délimitent un périmètre dont l’accès est contrôlé par les forces de police et de gendarmerie, afin d’interdire notamment aux éventuels manifestants violents de se rapprocher du lieu du sommet et de perturber le déroulement de l’événement. »
Mais la CNIL reste circonspecte : « La commission relève qu’à la différence des précédents fichiers de résidents dont elle a eu à connaître, lesquels mentionnaient explicitement la tenue de sommets internationaux, le projet d’arrêté présenté par le ministère autorise la mise en œuvre de fichiers de résidents à l’occasion d’un « événement majeur », sans par ailleurs que le projet d’arrêté fournisse une définition de cette notion. Elle note que le ministère a précisé que cette expression désigne « par exemple un rassemblement local, national ou international dont la nature, l’importance en termes de nombre de personnes déplacées ou les circonstances de son déroulement peuvent impacter la sécurité des personnes ou des biens », et a mentionné « la diversité des situations potentiellement concernées (sommets internationaux, manifestations sportives internationales,...) », tout en estimant inutile de préciser la rédaction de l’article 1er du projet d’arrêté. La commission observe que l’expression « événement majeur », ainsi que son absence de définition, élargit indéniablement les hypothèses de mise en œuvre de fichiers de résidents jusqu’alors réservées à la tenue de sommets internationaux réunissant des chefs d’Etat. Elle considère que, si la mise en œuvre de mesures de sécurité restreignant la liberté de circulation aux abords d’événements majeurs tels que des manifestations sportives internationales apparaît tout à fait justifiée, il n’en va pas de même s’agissant de la constitution de fichiers de résidents. En effet, la commission souligne que les fichiers de résidents dont la création sera ainsi autorisée, certes de façon temporaire, constituent des fichiers de population, au sujet desquels la commission s’est toujours montrée particulièrement vigilante. Elle demande par conséquent que l’article 1er du projet d’arrêté soit modifié de manière à définir l’expression « événement majeur », et à ce que les hypothèses de constitution de fichiers de résidents soient ainsi réservées aux situations exceptionnelles nécessitant la délimitation d’un périmètre de sécurité susceptible d’entraîner une limitation de la liberté de circulation des personnes. »
La demande n’a pas été prise en compte...
.
Quelle délimitation des zones ?
Les enjeux d’une géographie urbaine prennent tout leur sens. Sont étudiés les topographies, les sens circulatoires, les trottoirs, les impasses... etc. Sont évalués les bâtiments, leurs sorties et leurs entrées, leurs sous-sol et les passages.
A Deauville, deux périmètres de sécurité sont prévus : la zone 1 s’étend « de sept à huit hectares autour du lieu où se déroulera le sommet, seuls délégations, journalistes et habitants badgés seront autorisés à entrer. Mais la circulation et le stationnement de véhicules sur la voie publique y seront interdits. » La zone 2 dépasse le périmètre territorial de la commune de Deauville et « sera également réservé aux mêmes groupes, mais la circulation et le stationnement y seront autorisés. » [5] Dans ce schéma, habiter Deauville signifie donc être fiché ; de fait, « les personnes résidant à l’intérieur du périmètre ont fourni des données personnelles ». Mais sont tout autant concernées les personnes qui n’y résident pas mais qui y travaillent. Aussi, les badges, les titres d’accès sont-ils distribués dans les semaines précédant l’événement, sur présentation d’un document d’identité, le justificatif de domicile qui est aussi sollicité permet simplement de recouper les informations, mais la question d’une prise en considération de l’activité professionnelle dans la zone délimitée reste irrésolue sur ce point [6]...
La CNIL note ainsi que « les zones et leur mode de fonctionnement sont définis par arrêté préfectoral. Seules y auront accès les personnes physiques y ayant leur domicile, y exerçant une activité professionnelle, ou ayant un motif légitime pour s’y rendre (par exemple : médecin, soins à domicile). En amont de l’événement, les fichiers des résidents des zones de sécurité doivent ainsi permettre la fabrication, par un prestataire conventionné, de titres d’accès (cartes individuelles personnelles pour les personnes physiques ou pastilles pour les véhicules). Pendant le déroulement du sommet ou de l’événement, ces fichiers seront utilisés aux fins de contrôler les accès des personnes physiques aux zones sécurisées. » Or, dans la mesure où l’évènement majeur se voit contenu dans le modèle d’un risque important de troubles à l’ordre public, ce serait surtout le « contrôle des passages » qui retiendrait l’attention ; parmi les données à caractère personnel recueillies figurent ainsi « la date et l’heure d’entrée et de sortie de la zone sécurisée ainsi que le motif de l’accès à la zone sécurisée ».
.
Quelles sont les personnes concernées ?
Les principaux concernés sont les « résidents »... et la question des activités professionnelles n’est pas réglée. Elle ne le sera que sur place par les mentions portées sur les formulaires, le champ du « motif » est renseigné sous plusieurs formes : « résident », « professionnel », « livraison », « soins médicaux ». Mais si « toutes les données seront collectées directement auprès des personnes concernées sur la base du volontariat, à l’exception des mineurs et des incapables majeurs qui ne disposent pas de la capacité juridique pour renseigner eux-mêmes le formulaire », ceux qui, habitant dans la zone, ne se seront pas soumis aux procédures d’enregistrement, ne pourront accéder à leur logement durant le temps de l’évènement majeur. Le libre accès au domicile est donc impossible ; l’accès au domicile est alors quelque peu ‛interdit’ pendant ce temps.
Comment admettre que les « mineurs » de moins de 13 ans soient aussi soumis à ce procédé de fichage ? « La commission observe que le dossier de formalités relatif au fichier de résidents concernant le sommet du G8 d’Evian, soumis à son examen en 2003, précisait que l’obligation d’inscription au fichier des résidents ne concernait que les personnes âgées de plus de 13 ans. Elle relève que le ministère estime désormais nécessaire que soient collectées les données personnelles de l’ensemble des mineurs résidents des zones de sécurité, sans distinction d’âge, dans la mesure où cette attribution individuelle est rendue nécessaire afin de permettre aux mineurs, même relativement jeunes, se déplaçant sans leurs parents d’accéder aux zones où ils résident. La commission estime toutefois que la délivrance d’un badge d’accès à l’ensemble des mineurs, et à tout le moins à de très jeunes enfants, ne paraît pas en première analyse nécessaire à l’accomplissement des finalités poursuivies par les fichiers de résidents dès lors qu’un adulte porteur d’un badge accompagne le mineur. La commission considère ainsi que l’attribution de badges individuels à l’ensemble des mineurs concernés sans aucune distinction d’âge apparaît, en première analyse, disproportionnée au regard des finalités poursuivies par la mise en œuvre de fichiers de résidents. »
Là encore, la CNIL n’a pas été écoutée...
.
Fiché pour combien de temps ?
L’article 3 de l’arrêté dispose : « Les données à caractère personnel mentionnées à l’article 2 sont conservées pendant un délai de trois mois à compter de la fin de l’événement. Leur consultation au-delà de trois jours n’est possible que dans le cadre d’une procédure judiciaire ».
La CNIL avait rappelé qu’elle s’était montrée « particulièrement attentive à ce que les fichiers de résidents dont elle a eu précédemment à connaître, qui constituent des “fichiers de population” soient détruits à bref délai ». Dans sa délibération n° 03-016 du 24 avril 2003, elle « avait pris acte de la destruction du fichier des résidents créé à l’occasion du sommet du G8 à Evian dans un délai de trois jours après la fin de l’événement, en demandant en outre qu’un procès-verbal de destruction du fichier lui soit adressé. Elle souligne que le fichier des résidents créé à l’occasion du sommet de l’OTAN en 2009 avait également été détruit par les services préfectoraux trois jours après la fin du sommet. La commission estime, compte tenu de ces éléments, que la durée de conservation, des données prévues par l’article 3 du projet d’arrêté devrait être ramenée à trois jours, sans préjudice de la conservation des seules données nécessaires aux besoins d’enquêtes judiciaires qui seraient, le cas échéant, ouvertes à l’occasion de l’événement. ».
Faut-il finir par croire que le ministère de l’intérieur n’en a que faire des remarques de la CNIL !?
.
[1] V. toutefois, sur le site de la Gazette des communes, adossé à un dossier : Fichiers – Zones de sécurité ; sur le site connexite.fr : Traitements automatisés de données : fichiers des résidents des zones de sécurité.
[2] Délibération n° 2011-106 du 28 avril 2011 portant avis sur un projet d’arrêté du ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration autorisant la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel dénommés "fichiers des résidents des zones de sécurité" instaurés à l’occasion d’événements majeurs (demande d’avis n° 1491809).
[3] V. par ex. la détermination des zones de défense et de sécurité, suivant les principes de l’organisation territoriale de la défense ; v. aussi, en termes techniques, la définition d’une zone de sécurité pour l’aménagement d’une aire de jeux : Décret n° 96-1136 du 18 décembre 1996 fixant les prescriptions de sécurité relatives aux aires collectives de jeux. Il est toutefois nécessaire de retenir que l’expression « zone de sécurité » se retrouve en maints domaines ; en droit, elle peut tout aussi bien jouer dans l’espace des relations internationales que dans les structures domestiques. Ce qui fait sa particularité en la matière est son lien avec la notion d’ordre public.
[4] V. « Deauville : 15000 badges distribués » ; « Un flicage renforcé pour le G8 à Deauville ».
[5] V. « Deauville : 15000 badges distribués »...
[6] Attribuer deux jours de congés exceptionnels aux travailleurs dans cette zone serait-il envisageable ?