Le 7 novembre 2012, par Geneviève Koubi,
La circulaire du 23 octobre 2012 relative à la demande et à la délivrance de la carte nationale d’identité aux personnes détenues, signalée d’application immédiate au moment de sa signature, a été mise en ligne le 5 novembre 2012 sur le site des circulaires et instructions applicables de Legifrance [1].
Dès ses premières phrases, cette circulaire rend compte de l’importance de la possession d’un tel document pour tout détenu : « La possession et l’usage d’une carte nationale d’identité (CNI) sont des éléments essentiels pour le processus d’insertion et de réinsertion de toute personne placée sous main de justice. / Parmi les diverses mesures susceptibles de favoriser la réinsertion des personnes placées sous main de justice, l’obtention de la CNI est souvent un préalable indispensable à la réalisation de démarches concrètes et facilite l’accès à certains droits ou à la préparation de la sortie, le cas échéant au moyen d’un aménagement de peine. / Il apparaît donc primordial que la personne détenue puisse en disposer facilement, selon ses besoins et les démarches à effectuer. »
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Toutefois, bien que pensée d’application immédiate, cette circulaire envisage des réformes ’en cours’, ’en attente’. En effet, il est apparu nécessaire de procéder une refonte des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Aussi, même si la circulaire du 23 octobre 2012 s’attache à « rappeler les procédures devant être respectées pour favoriser encore davantage l’accès et l’utilisation des CNI par les personnes détenues », son impact reste mesuré.
Plusieurs éléments expliquent cette expectative. 1/ D’abord, les textes de référence reposent sur des règlements qui n’ont qu’à peine été mis à jour depuis 1996 [2]. Certes, la circulaire IOCK1002582C du 1er mars 2010 sur la simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement des cartes nationales d’identité et des passeports introduit quelques données supplémentaires, mais elle ne se préoccupe pas de la situation des personnes détenues. 2/ Ensuite, la demande récurrente de présentation de "pièces originales" bloque bien des procédures. La circulaire du 23 octobre 2012 insiste de manière ambigüe sur cette obligation : « Pour chaque pièce, le demandeur doit être en mesure d’en présenter l’original. Cependant, le dossier transmis aux services préfectoraux peut être constitué des copies de ces pièces. Seuls le formulaire de demande Cerfa et le justificatif d’état civil devront être adressés en version originale.. »
Pour les personnes détenues, le justificatif d’état civil peut être « un extrait d’acte de naissance comportant l’indication de la filiation (ou une copie intégrale de l’acte de naissance) datant de moins de trois mois, [(...) et] si la personne est née à l’étranger, ce document est établi par l’officier d’état civil consulaire ou le service central de l’état civil (SCEC) de Nantes ». Néanmoins, « le justificatif d’état civil ne sera exigé que si la personne n’est pas en mesure de présenter sa CNI (valide ou périmée depuis moins de deux ans) ou son passeport sécurisé (électronique ou biométrique, en cours de validité ou périmé depuis moins de deux ans) » [3]. Or, en même temps,« le justificatif de nationalité ne sera exigé que si la personne n’est pas en mesure de présenter sa CNI (en cours de validité ou périmée depuis moins de deux ans) ou son passeport sécurisé (électronique ou biométrique, en cours de validité ou périmé depuis moins de deux ans) ». Etat-civil et nationalité seraient-ils indéfectiblement liés ? La question mérite d’être posée !
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La circulaire du 23 octobre 2012 relative à la demande et à la délivrance de la carte nationale d’identité aux personnes détenues précise que « la nécessité de produire un certificat de nationalité française est désormais une exception, limitée aux cas pour lesquels la nationalité française ne peut être établie par aucun autre moyen. » Renvoi est fait là à l’annexe 7 de la circulaire, laquelle correspond « à la fiche n° 3 de l’annexe 1 de la circulaire du 1er mars 2010 » [4]. Telle est donc l’indication donnée dans la circulaire du 23 octobre 2012... Or, l’étape n°3 signifiée dans la circulaire du 1er mars 2010 retrace les voies de reconnaissance de "la possession d’état de français" [5]
Aurait pu être aussi mentionnée la circulaire du 1er février 2011 ; mais celle-ci, fondée sur le décret n° 2010-506 du 18 mai 2010 relatif à la simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité et du passeport, se réfère et renvoie à la précédente circulaire du 1er mars 2010 !!! [6]
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Un autre problème peut être soulevé. Il concerne le domicile : « Le justificatif de domicile ou de résidence doit dater de moins d’un an et être joint à chaque demande. Un seul justificatif suffit. »
Certes, ce devrait être domicile personnel de la personne détenue, mais plusieurs situations peuvent interférer faisant en sorte que l’idée de domicile varie selon les cas. Aussi, le domicile peut être celui d’une tierce personne, mais, parfois, au vu des temps impartis, il s’agirait de l’établissement pénitentiaire lui-même. Dans ce cas, si le domicile correspond à un établissement pénitentiaire, la dénomination de l’établissement ne doit pas apparaitre, seule l’adresse postale est mentionnée. « L’élection de domicile à l’établissement pénitentiaire (article 30 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) est un droit subsidiaire au droit commun. Il convient de noter qu’il s’agit d’une domiciliation temporaire, qui dure le temps de la détention ». Dans d’autres situations, ce serait à l’adresse d’un organisme agréé ou d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale (CCAS) : « Afin de rendre possible cette élection de domicile de personnes détenues auprès d’un organisme agréé ou d’un CCAS, il appartient aux SPIP d’inciter les organismes partenaires susceptibles de bénéficier d’un agrément à en faire la demande auprès des services préfectoraux et de mettre en oeuvre un partenariat local avec ces organismes afin de faciliter l’obtention des attestations d’accueil. Dans ce cas d’élection de domicile, seule figurera sur la carte d’identité l’adresse de l’organisme, à l’exclusion de sa dénomination. »
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Ces aperçus ne retraduisent pas les préoccupations auxquelles la circulaire du 23 octobre voudrait répondre. Celles-ci se retrouvent au titre de "la procédure" qui en forme le paragraphe II. L’objectif est faire de l’établissement pénitentiaire un « guichet de dépôt des demandes de CNI et de constitution des dossiers de demande ».
De fait, « afin d’identifier les personnes détenues pouvant être concernées par la procédure de demande de délivrance d’une CNI, les établissements pénitentiaires et les SPIP doivent développer une vigilance toute particulière à l’entrée et à l’approche de sortie de détention. / Ainsi, la continuité du suivi des personnes détenues entre le milieu ouvert et le milieu fermé est primordiale. / Processus long, la délivrance d’une CNI est parfois difficile à concilier avec des incarcérations de courte durée. Aussi le rappel des différentes phases de la procédure apparaît-il nécessaire afin d’éviter toute erreur, qui diminuerait d’autant les chances de la personne détenue d’obtenir son titre pendant sa détention, et de faciliter la nécessaire collaboration entre les établissements et les SPIP. »
Donc, plusieurs étapes sont à relever : 1/ détection des publics pour lesquels la mise en œuvre de la procédure de délivrance de la CNI est nécessaire ; 2/ collecte par le SPIP des données et pièces nécessaires à la constitution du dossier ; 3 « Une fois l’ensemble des documents et justificatifs réunis, le SPIP transmet le dossier complet en retour au greffe de l’établissement. » ; 4/ En possession du dossier complété, « le greffe est chargé d’accomplir les formalités techniques [7]. » ; 5/ « Le greffe adresse par voie postale en recommandé avec accusé de réception ou par dépôt du dossier par un agent de l’administration pénitentiaire, la demande de CNI aux services préfectoraux compétents. » ; 6/ « Le greffe pénitentiaire et le SPIP doivent informer au mieux la personne détenue de l’état de sa demande. » 7/ Dès réception de la CNI à l’établissement, « le personnel du greffe en accuse réception aux services préfectoraux qui l’ont délivrée. La CNI est conservée au vestiaire de la personne détenue et lui sera remise à sa demande par le greffe pénitentiaire pour toute sortie, qu’elle soit temporaire ou définitive. »
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Une dernière question interfère. Elle n’a pas été prise en considération dans la circulaire du 23 octobre 2012. Elle est relative au "droit de vote" des détenus qui n’ont pas été privés de leurs droits civiques.
En effet, depuis le 1er mars 1994, les détenus condamnés ne peuvent plus se voir supprimer le droit de vote de façon automatique - sauf cas spécifiques. Seule la peine complémentaire interdisant l’exercice de tout ou partie de leurs droits civiques y concourt... L’article l. 71 du code électoral prévoit ainsi que « peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration : (...) c) Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale. »
.... Si l’on retient l’équation idéologique en vogue : "national donc électeur", cette question n’aurait-elle pas du être soulevée ?
[1] Elle a été publiée au BOMJ n°2012-10 du 31 octobre 2012.
[2] Par référence à une note relative aux procédures d’obtention de pièces administratives du 16 juillet 1996...
[3] Ces voies devraient être reconnues pour tous, détenus ou pas !
[4] NB : L’annexe 7 n’est pas visible sur le document en lien relatif à la circulaire du 23 octobre 2012.
[5] Circ. 1er mars 2010 - texte :
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[6] Sans commentaire....
[7] Qui sont : recueil de la signature ; collecte des deux photographies d’identité ; prise d’empreintes digitales ; collecte du timbre fiscal.