Le 20 décembre 2012, par Geneviève Koubi,
L’arrêté du 17 décembre 2012 portant création d’un service à compétence nationale dénommé "Réseau interministériel de l’État" n’est pas aussi anodin que l’on pourrait le croire.
Liée à la réforme de l’État, donc à la mise en œuvre à peine commencée de la "modernisation de l’action publique" (MAP), - laquelle est présentée dans les médias comme une "RGPP de gauche" -, la ’création’ de ce service à compétence nationale formalise radicalement une décision prise, plus d’un an auparavant, en mai 2011, à propos des missions opérationnelles au service de la modernisation de l’Etat. En effet, sous l’égide du ministre de l’économie numérique d’alors, avait été décidée la mise en place d’un "réseau interministériel sécurisé regroupant l’ensemble des réseaux des ministères et permettant la continuité de l’action gouvernementale en cas de dysfonctionnement grave d’Internet" [1].
Par ailleurs, au vu de la fiche de poste à pourvoir (immédiatement), agencée le 11 septembre 2012, pour le recrutement d’un « chargé de mission "gestion administrative du réseau interministériel de l’Etat" », la transformation de la mission en un service à compétence nationale était déjà annoncée : « Le RIE remplacera progressivement l’ensemble des réseaux ministériels, raccordant ainsi près de 17 000 sites. Il s’inscrit dans le double contexte de la réforme de l’État et de la montée générale et continue des menaces sur la sécurité des systèmes d’information. La gestion opérationnelle du réseau RIE sera confiée à un service à compétence nationale (SCN) interministériel, en cours de constitution, qui sera directement rattaché à la DISIC » (direction interministérielle des systèmes d’information et de communication) [2].
Il ne s’agit donc pas d’une innovation mais bien de l’institutionnalisation d’un réseau existant destiné à approfondir les enjeux de la réforme de l’État et à freiner la montée générale et continue des menaces sur la sécurité des systèmes d’information.
Par cet arrêté [3], s’affiche alors la confirmation d’une continuité dans la mise en place d’une administration numérique de plus en plus tentaculaire à l’égard des citoyens en même temps que de plus en plus concentrationnaire dans les sphères administratives [4].
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Le service à compétence nationale "Réseau interministériel de l’État" est, aux termes de l’article 1 de l’arrêté du 17 décembre 2012, « chargé de la gestion du réseau interministériel de l’État, réseau de transport unifié raccordant l’ensemble des administrations centrales et déconcentrées de l’Etat, et des services associés./ Il est rattaché au directeur interministériel des systèmes d’information et de communication. »
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Ces mentions invitent à se tourner vers le décret n° 2012-1198 du 30 octobre 2012 portant création d’un secrétariat général pour la modernisation de l’action publique qui constitue l’une des bases de l’arrêté.
Elles permettent de relever les enjeux de la dématérialisation des échanges réalisés entre les administrations centrales de l’État et les services déconcentrés comme entre ces administrations et services et les autorités administratives des collectivités décentralisées comme celles des établissements publics de l’État ou rattachés à des collectivités territoriales.
Selon l’article 1 de ce décret n° 2012-1198 du 30 octobre 2012, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, placé sous l’autorité du Premier ministre et rattaché au secrétaire général du Gouvernement, « comprend : - la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique ; - la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’État. / Sont directement rattachés au secrétaire général les services chargés de faciliter et de coordonner : - la mise à disposition des données publiques en vue de développer leur réutilisation ; - les travaux relatifs au fonctionnement des services déconcentrés de l’État. »
Le service à compétence nationale "Réseau interministériel de l’État" étant joint à la direction des systèmes d’information et de communication, il est nécessairement impliqué dans les stratégies communicationnelles de l’État central. Les processus d’une administration électronique révèlent pourtant une tendance à la centralisation des données sur lesquelles se fondent la détermination de nombre de politiques publiques ; dès lors, les modalités de la déconcentration administrative en sont nécessairement modifiées ; la mise en perspective d’une combinaison entre déconcentration et délégation, encore inexplorée dans les rapports et études menés sur les nuances des relations administratives, s’en trouve appuyée.
Si l’on retient les pistes ouvertes par l’article 2 du décret n° 2012-1198, on ne peut que s’interroger sur le fait que le service à compétence nationale RIE ne s’approprie guère la dynamique affichée pour la MAP ’d’une amélioration du service rendu aux usagers’.
Cet article 2 présente dans son paragraphe I., en termes généraux, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique comme « coordonn(ant), favoris(ant) et sout(enant), au niveau interministériel, les travaux conduits par les administrations en vue d’évaluer et de moderniser l’action publique, afin d’améliorer le service rendu aux citoyens et aux usagers et de contribuer à la bonne gestion des deniers publics. » Au titre de son paragraphe II., le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique « veille à ce que les systèmes d’information et de communication concourent à améliorer la qualité, l’efficacité, l’efficience et la fiabilité du service rendu et à simplifier les relations entre les usagers et les administrations de l’Etat, et entre celles-ci et les autres autorités administratives. » La création du service à compétence nationale "Réseau interministériel de l’État" semble ne pas répondre directement aux dynamiques de la relation avec les administrés. Ce qui ressort d’une confrontation entre l’arrêté du 17 décembre 2012 créant le RIE et le décret du 30 octobre 2012 instituant le secrétariat pour la MAP est que l’objectif du RIE ne s’inscrit que dans le cadre des relations entre les administrations de l’État et les autres autorités administratives.
En quelque sorte, c’est au paragraphe III. de l’article 2 du décret n° 2012-1198 du 30 octobre 2012 portant création d’un secrétariat général pour la modernisation de l’action publique qu’il serait peut-être utile de se référer. Ce paragraphe indique le secrétariat de la MAP « coordonne l’action des services de l’État et de ses établissements publics pour faciliter la réutilisation la plus large possible de leurs informations publiques. Il administre le portail unique interministériel destiné à rassembler et à mettre à disposition librement l’ensemble des informations publiques de l’État, de ses établissements publics et, si elles le souhaitent, des collectivités territoriales et des personnes de droit public ou de droit privé chargées d’une mission de service public. Il coordonne les travaux interministériels relatifs à l’amélioration du fonctionnement des services déconcentrés de l’État. » Mais l’institution du RIE n’entre pas dans la dynamique d’une ouverture au public ou d’une mise à disposition des données au public. C’est tout le contraire...
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Les croisements entre la lecture du décret du 30 octobre 2012 et celle du bref arrêté du 17 décembre 2012 permettent de repérer d’autres bifurcations.
Le service à compétence nationale RIE, même adjoint à la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication, devra composer avec les orientations déterminées par la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique. Toutefois, en tenant compte des dispositions en vigueur du décret n° 2011-193 du 21 février 2011 (modifié) portant création d’une direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’État, parmi les missions de cette direction, on peut signaler : l’organisation et le pilotage de « la conception et la mise en œuvre des opérations de mutualisation entre administrations de l’État, ou entre celles-ci et d’autres autorités administratives, de systèmes d’information ou de communication d’usage partagé » et sa contribution « par les réponses apportées aux besoins propres de l’État en matière de technologies de l’information et de la communication, à promouvoir l’innovation et la compétitivité dans ce secteur de l’économie nationale. » (art. 2, al. 2 et 3, D. n° 2011-193 du 21 février 2011).
L’article 3 du décret du 21 février 2011 est plus percutant à ce propos : « Pour remplir ces missions, la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication : / 1° Élabore et soumet à l’approbation du Premier ministre un cadre stratégique commun pour le développement des systèmes d’information et de communication des administrations de l’État ; / 2° Définit un cadre commun de gestion de la performance dans le domaine des systèmes d’information et de communication et veille à sa mise en œuvre ; / 3° Propose au Premier ministre les opérations qui, portant notamment sur des infrastructures informatiques, des réseaux de communication, des services logiciels communs ou des systèmes d’information de gestion relatifs à des fonctions transversales des administrations de l’État, peuvent faire l’objet d’une mutualisation entre plusieurs administrations de l’État, ou entre des administrations de l’État et d’autres autorités administratives ; elle en propose les modalités de gouvernance ; elle peut être associée au pilotage de certaines de ces opérations, ou les piloter elle-même ; / 4° Alerte le Premier ministre et les ministres compétents sur les enjeux et les risques relatifs à des projets d’importance majeure et formule des recommandations pour la conception et la gouvernance de ces projets. »
La notion de "cadre stratégique commun" justifie la rédaction de l’article 4 de ce décret. Cet article en énumère les composants dont relèvent : l’information ’anticipée’ sur les évolutions des technologies et du marché et les besoins en matière de communication et de traitement de l’information, la mise en cohérence des systèmes d’information et de communication des administrations de l’État avec ceux des autres autorités administratives, la définition d’un cadre commun aux différentes administrations de l’État pour la gestion des ressources humaines dans les métiers des technologies de l’information et de la communication. Il s’agit donc bien de pouvoir faire face aux crises, aux cyberattaques, aux dysfonctionnements majeurs d’Internet.
Dès lors, si l’arrêté du 17 décembre place le service à compétence nationale "Réseau interministériel de l’État" auprès de la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication, les formulations ne doivent pas induire en erreur. Car, si sa principale mission est la "gestion du réseau interministériel de l’État, réseau de transport unifié raccordant l’ensemble des administrations centrales et déconcentrées de l’État, et des services associés" (art. 1), elle est évidemment intimement liée aux stratégies numériques de l’État et dépend des programmes de politiques publiques déterminés pour la MAP.
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Au titre de l’article 3 du décret du 30 octobre 2012, la direction interministérielle pour la modernisation de l’action publique doit « assiste(r) les ministères dans l’élaboration et la mise en œuvre de leur stratégie de modernisation. Elle en suit et en évalue la réalisation. / Elle concourt à l’adaptation de l’organisation des administrations de l’État pour tenir compte de l’évolution de leurs missions et de leurs modes de gestion. / Elle participe à la conception et à la promotion des nouveaux modes de gestion de l’État et de ses établissements publics. » (art. 3 III.). Par ailleurs, elle « coordonne et anime, en liaison avec les autres administrations de l’État, les actions de communication et de formation dans le domaine de la modernisation de l’action publique. » (art. 3 V.) Dans ces configurations, le service à compétence nationale "Réseau interministériel de l’État" (RIE) retrace quelques-uns des enjeux de la modernisation de l’action publique (MAP) hormis les situations de crise.
Le Premier ministre a, lors de la première réunion du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 18 décembre 2012, bel et bien lancé le chantier de la modernisation de l’action publique dont l’un des trois temps, le deuxième, est d’"Accélérer la transition numérique". Les deux autres sont : 1, "Simplifier l’action administrative" et 2, "Évaluer les politiques publiques".
En n’affichant que des actions à mener envers les citoyens, l’information donnée sur cette transition numérique pourrait apparaître trompeuse. En effet, la présentation de ce ’chantier’ sur le site du Premier ministre retraduit une intention d’une facilitation des démarches devant ou auprès de l’administration : « Deuxième chantier : accélérer la transition numérique. Internet et les outils numériques ont profondément modifié, en quinze ans, les relations entre les citoyens et l’administration. Le travail des agents publics s’est, lui aussi, transformé. / La transition numérique peut être un formidable levier de modernisation de l’action publique. Elle est en effet porteuse des valeurs d’égalité, de neutralité, de transparence, d’efficacité, et d’adaptation qui sont au cœur de l’action publique. / Le numérique sera davantage utilisé pour améliorer l’accessibilité des services publics de manière à mieux combiner services en ligne et présence territoriale des services publics. / Pour ce qui concerne l’open data, le Gouvernement prendra aussi l’initiative, en concertation avec ses partenaires, pour étendre le principe de gratuité de la réutilisation des données publiques. » Or, de toute évidence, le principal objectif de la transition numérique est surtout d’assurer une sécurisation et une stabilisation des circuits d’information...
Du fait de l’arrêté du 17 décembre 2012, pour cerner la "transition numérique, ne faudrait-il pas plutôt penser qu’elle ressort d’une intention de facilitation de la recentralisation des programmations - comme du travail - des administrations de l’État à travers des réseaux d’information refermés progressivement sur un intranet multiconnecté ?
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[1] V. par ailleurs, J.-M. Bockel, Rapp. inf. Sénat n° 681 (2011-2012) : La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale.
[2] NB : le poste de chef du service à compétence nationale RIE est à pourvoir au 1er janvier 2013.
[3] Et non pas "décret". V. l’erreur glissée sur cio-online.com : « Un SCN dédié pour gérer le réseau partagé de l’Etat ».
[4] Et, évidemment, ayant des incidences sur les emplois et les statuts des fonctionnaires.