Le 1er février 2019, par Geneviève Koubi,
« Le Conseil d’État rejette des demandes tendant à ce qu’il ne soit plus fait usage de lanceurs de balle de défense (LBD) lors des manifestations de "gilets jaunes" » [1]. Telle est l’en-tête d’un communiqué publié ce 1er février 2019...
Le Conseil d’État valide les lanceurs de balles de défense (LBD) en trois ordonnances (CE, ord. 1er février 2019, Union Départementale de Paris du Syndicat de la Confédération Générale du Travail, req. n° 427386 ; Confédération Générale du Travail et autres, req. n° 427390 ; M. A.A et autres, req. n° 427418),
... en quelques phrases :
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à propos de la liberté de manifestation [2] :
« L’usage du LBD de 40 mm n’a donc pas pour objet, par lui-même, de faire obstacle à la liberté de manifester ou d’infliger des traitements inhumains ou dégradants. »
« ... l’usage du LBD de 40 mm ne peut être regardé comme de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester et au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. »
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à propos des « instructions » aux forces de police [3]
« Par une instruction des 27 juillet et 2 août 2017, produite au dossier [4] le ministre de l’intérieur a rappelé aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale les conditions dans lesquelles devaient être utilisées les armes à feu dites ’de force intermédiaire’ (AFI). L’instruction indique que l’emploi des AFI permet une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l’emploi légitime de la force s’avère nécessaire. Au nombre de ces armes, figurent les lanceurs de balles de défense de calibre 40 mm (LBD de 40 mm), dont les conditions d’emploi sont indiquées à l’annexe II de l’instruction. Cette annexe rappelle que l’utilisation du LBD de 40 mm est "autorisée seulement lorsque les conditions légales sont réunies", c’est-à-dire dans les cas visés aux articles 112-5 et 122-7 du code pénal ainsi qu’aux articles L. 211-9, 6ème alinéa, et L. 431-5 du code de la sécurité intérieure, et qu’elle est soumise aux principes de nécessité et de proportionnalité. Elle précise que l’affectation d’un LBD de 40 mm est temporaire et doit répondre aux besoins d’une mission, qu’une habilitation individuelle, soumise à une formation initiale, est préalable à tout port de cette arme et que le maintien de cette habilitation est assujetti aux résultats d’une formation continue » [5].
« Elle (l’instruction) comporte également les précautions d’emploi du LBD de 40 mm. A ce titre, il est indiqué que le tireur doit, dans la mesure du possible, s’assurer que les tiers éventuellement présents se trouvent hors d’atteinte, afin de limiter les risques de dommages collatéraux, et doit prendre en compte les différents paramètres (distance de tir, mobilité de la personne, …) qui conditionnent l’efficacité du tir. Le tireur doit aussi, lorsque les circonstances le permettent, éviter de recourir au LBD quand la personne présente un état de vulnérabilité manifeste et tenir compte, autant que possible, des risques liés à la chute de la personne visée après l’impact reçu. Enfin, l’instruction énonce que la tête ne doit jamais être visée et que le tireur doit privilégier le torse de préférence aux membres supérieurs et inférieurs. Ces conditions d’utilisation ont été rappelées aux services concernés par des télégrammes du ministre de l’intérieur des 15 et 16 janvier 2019 adressés aux services concernés respectivement de police et de gendarmerie. »
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à propos de l’usage du lanceur de balles de défense :
« … l’usage du LBD de 40 mm est destiné principalement à la sauvegarde de l’ordre public, notamment afin de dissiper les attroupements lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre les représentants de la force publique ou lorsque ces derniers sont dans l’impossibilité de défendre autrement le terrain qu’ils occupent. »
« … les très nombreuses manifestations qui se sont répétées semaine après semaine depuis le mois de novembre 2018 sur l’ensemble du territoire national, sans que des parcours soient toujours clairement déclarés ou respectés, ont été très fréquemment l’occasion de violences volontaires, de voies de fait, d’atteintes aux biens et de destructions. L’impossibilité d’exclure la reproduction de tels incidents au cours des prochaines manifestations rend nécessaire de permettre aux forces de l’ordre de recourir à ces armes, qui demeurent particulièrement appropriées pour faire face à ce type de situations, sous réserve du strict respect des conditions d’usage s’imposant à leur utilisation, qu’il appartient tant aux autorités nationales qu’aux responsables d’unités de rappeler »
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Les arguments ne sont pas probants.
La liberté de manifestation est désormais verrouillée à un tel point que de « droit-liberté » elle devient un « droit-créance » qui ne peut être exercé que dans certaines conditions et sur autorisation préalable individuellement (autant que collectivement).
Une proposition de loi visant à interdire l’utilisation des lanceurs de balles de défense ainsi que des grenades lacrymogènes instantanées de type F4 par les forces de sécurité intérieure avait été enregistrée à l’Assemblée nationale, le 23 janvier 2019. En son exposé des motifs, elle invitait à s’interroger sur « la banalisation de l’usage d’armes intermédiaires - tels que les lanceurs de balles de défense - et d’engins répressifs, à l’instar des grenades lacrymogènes instantanées (GLI), (qui) inquiète et dissuade nombre de personnes d’exercer leur droit fondamental de manifester. Originellement conçues comme non létales, ces armes peuvent facilement causer des blessures irréversibles voire, dans certains cas, provoquer le décès des personnes visées. Il n’est pas acceptable qu’un pays démocratique comme le nôtre permette une telle disproportion entre l’objectif de maintien de l’ordre et la dangerosité de ces armes provoquant des séquelles physiques et morales. » Y est alors signalé un des risques essentiels : « l’usage de ces armes aggrave les tensions déjà palpables entre manifestants et forces de sécurité. »
Quoiqu’il en soit, la contestation de l’usage de ces armes à feu dites non létales qui ne sont pas sans danger (pour preuve !) se vaut. Cet usage ne devrait-il pas être plus strictement réglementé ? Telle n’est donc pas la position du Conseil d’État en ces trois ordonnances.
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A l’heure où certains approuvent des manifestations anti-gouvernementales en d’autres pays du monde au prétexte de politiques économiques contraires au dogme de l’ultra-libéralisme, et sont capables de passer outre aux violations des droits de l’homme en d’autres contrées pour soutenir des dictateurs au prétexte de politiques économiques ultra-libérales, il est possible de s’interroger sur les finalités de cette tendance assumée à la répression des mouvements sociaux, qu’elle qu’en soit la teneur…
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[1] V. les réactions dans les rédactions étrangères : en Suisse, « Le Conseil d’État français refuse de suspendre l’usage du LBD » ; en Belgique : « L’usage du controversé lanceur de balles de défense reste autorisé en France »…
[2] Si peu prise en considération !
[3] Notant qu’une instruction INTC1712157J en date du 21 avril 2017, non citée par le juge administratif, est relative au maintien de l’ordre public par la police nationale (BOMI 15 juin 2017, p. 33) énonçait en préambule : « L’ordre public est un point d’équilibre consistant dans le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publics. Il permet notamment l’exercice des libertés publiques. Le maintien de l’ordre public vise ainsi à maintenir ce point d’équilibre par des mesures adaptées, notamment de police. » Cette circulaire affirmait ainsi que : « Lorsque le maintien de l’ordre public s’exerce dans le cadre d’un rassemblement de personnes lié à l’exercice d’une liberté publique (réunion, manifestation notamment), il a pour but principal de permettre l’exercice des libertés individuelles et collectives tout en les régulant. Il comporte alors et avant tout des mesures préventives. En revanche, lorsque tout ou partie de la foule rassemblée commet des actes portant atteinte à l’ordre public, les opérations de police visent au rétablissement de l’ordre public, notamment par des mesures de protection des personnes et des biens, ainsi que d’interpellation des fauteurs de troubles, auteurs d’infractions. » L’emploi de la force n’était pas pensé systématique. Aussi, « Lors des phases d’emploi de la force, la ou les ’autorités civiles responsables de l’emploi de la force’, préalablement désignées et prévues à l’article R. 211-21 du code de la sécurité intérieure, peuvent décider de son emploi, en se conformant aux prescriptions dudit code. Les instructions de l’autorité civile portent sur les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre. » De plus, « Tout doit être mis en œuvre par le responsable du dispositif pour tenter de résoudre les incidents de manière pacifique et privilégier la désescalade de la violence. Ainsi, l’emploi de la force n’est possible par les représentants de la force publique que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public ; il doit être proportionné au trouble et doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé (article R. 211-13 du code de la sécurité intérieure). » Étant précisé que : « l’emploi de la force doit être différencié et ciblé ; le recours indiscriminé à la force est proscrit. » Et plus encore, « L’usage des armes est une modalité d’emploi de la force. En ce cas, le recours aux moyens et armes de force intermédiaire est la norme, et l’usage des armes à feu l’exception ultime. »
[4] Mais non retrouvée.
[5] V. à propos du flashball, la décision du Défenseur des droits, MDS-2015-147 du 16 juillet 2015 constatant que la formation à l’usage de ces armes est insuffisante ; v. par ailleurs, instr. INTJ1801661J, n° 207000 du 19 janvier 2018 relative aux mesures de sécurité à appliquer à l’instruction et à l’entraînement au tir (BOMI 15 mars 2018). Cette dernière instruction cite justement dans ses visas l’instruction n° 233500/GEND/CAB du 27 juillet 2017 relative à l’usage et l’emploi des armes de force intermédiaire dans les services de la police nationale et les unités de la gendarmerie nationale (n.i. BO-CLASS. : 96.34).