Le 26 juillet 2008, par Geneviève Koubi,
Les dernières modifications de la Constitution de la Vème République, issues de la révision adoptée par le Congrès le 21 juillet 2008, ont sensiblement transformé l’approche des institutions publiques. Si elles ont entériné la présidentialisation excessive du système politico-juridique français, elles ont aussi instillé les moyens d’une relecture de la forme républicaine du gouvernement [1].
La transformation encore à venir des principes républicains par le biais d’une recomposition du Préambule de la constitution confirmera sans aucun doute cette tendance en décalant la question de l’égalité des citoyens devant la loi...
De ce fait, le Défenseur des droits qui devrait, d’une manière toute relative, s’assurer du respect des droits et libertés (art. 71-1) — dans les bornes des lois —, ne pourrait reposer ses argumentations sur les seuls textes fondamentaux que sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de 1946.
L’article 71-1 de la Constitution [2] institue un Défenseur des droits dont l’indépendance à l’égard des organes politiques n’est guère affirmée explicitement [3]. Devant se substituer à certaines autorités administratives indépendantes existantes aux termes des discours développés durant l’élaboration de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, ce Défenseur doit veiller « au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences ». Parmi les autorités administratives indépendantes évoquées à un moment ou un autre des discussions, des débats, des commentaires, on trouve la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), le Défenseur des enfants, le Contrôleur général des lieux privatifs de liberté, la Commission nationale du débat public (CNDP), etc.
Le resserrement de la fonction du respect des droits et des libertés de chacun et de tous, personnes physiques ou personnes morales, autour des administrations d’Etat ou territoriales et des services publics — du moins en tant que ceux-ci subsisteraient dans l’ordre d’une société mondialisée — répond au champ d’attributions dont disposait le Médiateur de la République ("ombudsman à la française"). Une définition de la notion de service public par le Défenseur des droits s’ajouterait-elle alors à celles déjà proposées tant par le juge judiciaire que par le juge administratif, par la doctrine juridique que par la doctrine administrative — généralement issue des circulaires —, voire par les instances de l’Union européenne et par la jurisprudence de la CJUE ? Quoiqu’il en soit, le Médiateur de la République est la première autorité administrative indépendante qui s’effacera pour faire place au Défenseur des droits.
La conjugaison se réalise au futur : l’entrée en vigueur de l’article 71-1 est subordonnée aux lois organiques et lois ordinaires nécessaires à son application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008), mais l’incertitude quant au contenu de ces lois oblige l’emploi du conditionnel.
La formulation de l’article 71-1 laisse penser que, pour ce qui concerne les droits et les libertés, les relations entre les personnes privées échapperaient à son domaine d’investigation : le respect des droits et libertés est concentré autour des administrations de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, ainsi que de tout organisme investi d’une mission de service public... Le Défenseur des droits peut se saisir ou être saisi par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme investi d’une mission de service public... Admistrations et services publics sont les principaux lieux de veille. Or, bien des autorités administratives indépendantes se préoccupent aussi du respect du droit par des organismes privés, tel est le cas, entre autres, de la Cnil, de la Halde, de l’Agence française de lutte contre le dopage (ALFD) ou de l’Autorité des marchés financiers (AMF)... Cette limite, fondée logiquement sur la distanciation du pouvoir judiciaire, est préoccupante. Le Défenseur des droits pourrait donc être amené à remplacer des autorités administratives indépendantes dont les terrains d’analyse et les lieux d’intervention concernaient des actes, actions et activités menées par les personnes privées. Or, lorsque ces actes et actions portaient atteinte aux droits et libertés spécifiques pour la défense desquels ces autorités étaient plus ou moins instituées, ces autorités avaient fait preuve d’une capacité d’expertise qu’une institution généraliste ne pourrait acquérir.
Si l’on peut penser que la posture du Défenseur des droits est "renforcée" par rapport à celle dont disposait le Médiateur de la République parce qu’elle se trouve inscrite dans le texte constitutionnel, il semble que l’étendue de ses attributions reste ordonnée autour de quelques justifications ou résolutions, pour ce qui concerne la personne "humaine", quant à la catégorie des "droits opposables". Cette catégorie qui s’enrichit à chaque discours de nouvelles données a pourtant pour effet de minorer progressivement la force et la portée de l’ensemble indivisible des droits de l’homme. Sans doute, ses attributions resteront-elles "floues" tant que la loi organique à laquelle il est renvoyé ne sera pas adoptée. Mais, en tant que le Défenseur des droits ne dispose pas (au vu de sa nomination) d’une réelle indépendance à l’égard du pouvoir politique, ses actes demeureront toujours suspects.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), quelque peu marrie de n’avoir pas été saisie du projet de création du Defenseur des droits (pensés un moment comme étant exclusivement des droits des citoyens), avait fait part de ses inquiétudes dans une note en date du 20 mai 2008. Elle avait souligné le hiatus que supposait cette institution et la définition de sa mission par rapport aux formules du Préambule de la Constitution de 1958 qui, lui, se réfère expressément aux « Droits de l’homme ». Elle regrettait que cette expression, essentielle pour la lecture de l’histoire constitutionnelle de la France, n’ait pas été retenue. Elle rappelait aussi « que le principe d’indivisibilité des droits de l’homme implique la prise en compte l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels, tout comme des droits civils et politiques ». Elle signifiait encore que « le particularisme du système français de protection des droits des citoyens par rapport à d’autres systèmes étrangers ... tient à la pluralité des instances de protection que l’on a voulu spécialisées pour certains lieux et dont les fonctions varient afin qu’elles répondent au mieux aux besoins de protection des droits de l’homme, sur l’ensemble du territoire, à l’échelle d’un pays comme la France ».
Or, peut-être, est-ce ce que les organes de pouvoir voudraient aujourd’hui profondément modifier...
Mais trop d’indices annoncent de substantielles remises en cause de la logique des droits de l’homme. En est un exemple la notion incongrue de "droit opposable" qui se déploie sur le terrain étroit des droits de la personne (physique) marquant parfois des avancées (comme le droit au logement), parfois des reculs (comme le droit à la garde des enfants qui, en passe d’être entériné juridiquement, justifie (mal) l’atteinte portée au droit de grève des enseignants [4]) ; mais elle se construit à chaque fois sur une spécificité qui détache le droit en cause de l’ensemble des droits de l’homme et prévoit des paliers d’évaluation selon la situation des personnes. En est également une des composantes l’étirement de la distinction entre les citoyens et les étrangers avec son cortège de discriminations, d’exclusions et d’expulsions au mépris de la connaissance des droits de l’homme et des droits de l’enfant. En est aussi un des éléments la désagrégation du droit du travail... etc. La liste est longue !
Et en est l’indice principal le rapport attendu du "Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution", groupe de réflexion qui est chargé « d’étudier si et dans quelle mesure les droits fondamentaux reconnus par le préambule de la Constitution doivent être complétés par des principes nouveaux »...
La source d’inspiration du Défenseur des droits, des droits de la personne et non des droits du citoyen, ne risquera-t-elle pas d’être alors ce Préambule... "modifié" [5] ?
[1] ... qui ne peut faire l’objet d’une révision (art. 89).
[2] Art 71-1. « Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public, ou à l’égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. /Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public ou d’un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d’office. /La loi organique définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions. /Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable, après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi organique. /Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement ».
[3] de par sa nomination : « Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable ».
[4] V. aussi, le rapport au Premier minitre (le 23 juillet 2008) de M. Tabarot sur le développement de l’offre d’accueil de la petite enfance.
[5] S’il l’est un jour...