Le 13 février 2008, par Geneviève Koubi,
Le Conseil d’Etat a, par une ordonnance de référé du 11 février 2008, suspendu la possibilité que voulait s’offrir la RATP de sanctionner des agents qui n’auraient pas déclaré leur intention de se joindre à un mouvement de grève quarante-huit heures avant le jour prévu par le préavis de grève déposé par un syndicat....
Le plan de prévisibilité de la RATP, pris en application de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (art. 5) prévoit les modalités de déclaration préalable d’intention de faire grève de ses agents [1] . Il ne tient pas compte du fait que : 1) le déclenchement d’un mouvement de grève peut être impromptu (ce que relève justement le juge des référés) ; 2) la prise de conscience de l’importance du motif de la grève par l’agent peut être plus tardive (comment exprimer sa solidarité avec le mouvement ?) ; 3) l’intention préalable de se joindre au mouvement par l’agent peut être regrettée (comment changer d’avis ?) ; 3) un des syndicats peut retirer son mot d’ordre de grève la veille ou le jour même (l’agent qui a fait part de son intention peut-il revenir sur ce qui pourrait être pensé comme sa « pré-décision » ?).
La RATP a, dans un « plan de prévisibilité » élaboré en application des dispositions de la loi relatives au service minimum, établi les périmètres d’activités et les « volumes » en personnel indispensables pour le maintien de l’offre de service minimal exigé. Les procédures sont pensées en deux temps : information sur le préavis de grève, recueil des intentions de cesser le travail par les salariés (par intranet ou internet). La centralisation de ces déclarations d’intentions permettraient la ventilation des personnels « réquisitionnables » — cette remarque n’ayant là pas d’autre valeur qu’une supputation en tant que le plan donné par la RATP retient d’abord une affectation des personnels non grévistes sur les postes nécessaires…. Ce plan de prévisibilité impose, comme le signalait le syndicat SUD dans sa requête, une contrainte supplémentaire car la distinction entre les temps de déclaration d’intention entre « 48 h avant le début de la grève » et « 48 h avant le préavis de grève » n’est pas sans importance. Si c’est le deuxième cas de figure qui doit être retenu, il y a bel et bien entrave à l’exercice du droit de grève...
Le Conseil constitutionnel avait dans sa décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007, noté que le législateur, en opérant « la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte » peut apporter au droit de grève « les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d’un principe de valeur constitutionnelle ». Il avait surtout signifié que « l’obligation de déclaration préalable instituée ..., qui ne saurait être étendue à l’ensemble des salariés, n’est opposable qu’aux seuls salariés dont la présence détermine directement l’offre de services ; que les sanctions disciplinaires sont uniquement destinées à réprimer l’inobservation de la formalité procédurale prévue par le législateur dont la méconnaissance ne confère pas à l’exercice du droit de grève un caractère illicite ; qu’elles ont vocation à conforter l’efficacité du dispositif afin de faciliter la réaffectation des personnels disponibles pour la mise en œuvre du plan de transport adapté ; qu’en outre, (…), l’obligation de déclaration ne s’oppose pas à ce qu’un salarié rejoigne un mouvement de grève déjà engagé et auquel il n’avait pas initialement l’intention de participer, ou auquel il aurait cessé de participer, dès lors qu’il en informe son employeur au plus tard quarante-huit heures à l’avance … ».
Dans le plan de prévisibilité de la RATP, c’est le préavis qui constitue le point d’ancrage des procédures imposées aux salariés mais les formulations ne sont pas si claires, ce qui permet au juge des référés, saisi donc en urgence, de ne pas s’y attarder. Il y est encore précisé que : « Est passible d’une sanction disciplinaire le salarié qui n’aura pas informé l’entreprise de son intention de participer à la grève selon les modalités définies… ». Une déclaration relative à des intentions à un moment donné (48 h à l’avance, avant le préavis ou avant la grève) et dont il n’est pas assuré qu’elles soient suivies au jour dit acquiert de par la loi une valeur substantielle. La sanction qui a des incidences sur la situation et la carrière d’un agent doit-elle être pensée par rapport à la non-déclaration d’intention suivie d’une participation à l’action collective ou simplement par rapport à une simple abstention de déclaration d’intention ? La sanction qui interviendrait pour celui qui aurait changé d’avis ne devrait concerner que le fait de se joindre à un mouvement de grève sans avoir prévenu le service 48 heures auparavant alors que justement le Conseil constitutionnel relevait que « l’obligation de déclaration ne s’oppose pas à ce qu’un salarié rejoigne un mouvement de grève déjà engagé et auquel il n’avait pas initialement l’intention de participer ».
C’est sur ce dispositif relatif aux sanctions que le juge des référés s’est penché : cette sanction « dont le niveau de gravité n’est pas précisé (…) est susceptible de causer aux salariés (…) un préjudice grave et immédiat constitutif d’une situation d’urgence » (au sens de l’article L. 521-1 CJA). Et ce n’est que cette disposition relative à la sanction « indéterminée » qui peut être prononcée à l’encontre des agents qui ne déclareraient pas leur intention de participer à une grève et qui en final se joindraient au mouvement, qui justifie la suspension de ce plan de prévisibilité….
La loi du 21 août 2007 a bel et bien démoli le droit de grève ; elle revient encore à défaire le droit de grève de sa force collective et de sa qualité solidaire puisqu’elle consiste à en limiter l’exercice individuel ou personnel, c’est-à-dire, en quelque sorte, en relevant le mouvement de subjectivisation du droit et par conséquent des droits et libertés [2], d’une part la liberté individuelle de se joindre à un mouvement de grève et d’autre part la liberté personnelle de participer à une grève ….
[1] Sur le « plan de prévisibilité » et sur la « déclaration préalable d’intention », l’article 5 de la loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs dispose : « I. - Dans les entreprises de transport, l’employeur et les organisations syndicales représentatives engagent des négociations en vue de la signature, avant le 1er janvier 2008, d’un accord collectif de prévisibilité du service applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève. /L’accord collectif de prévisibilité du service recense, par métier, fonction et niveau de compétence ou de qualification, les catégories d’agents et leurs effectifs, ainsi que les moyens matériels, indispensables à l’exécution, conformément aux règles de sécurité en vigueur applicables à l’entreprise, de chacun des niveaux de service prévus dans le plan de transport adapté. / Il fixe les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l’organisation du travail est révisée et les personnels disponibles réaffectés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transport adapté. En cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels de l’entreprise non grévistes. /A défaut d’accord applicable au 1er janvier 2008, un plan de prévisibilité est défini par l’employeur. /L’accord ou le plan est notifié au représentant de l’Etat et à l’autorité organisatrice de transport. /Un accord collectif de prévisibilité du service qui entre en vigueur à compter du 1er janvier 2008, conformément aux dispositions prévues aux alinéas précédents, s’applique en lieu et place du plan de prévisibilité. /II. - En cas de grève, les salariés relevant des catégories d’agents mentionnées au I informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d’entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d’y participer. Les informations issues de ces déclarations individuelles ne peuvent être utilisées que pour l’organisation du service durant la grève. Elles sont couvertes par le secret professionnel. Leur utilisation à d’autres fins ou leur communication à toute personne autre que celles désignées par l’employeur comme étant chargées de l’organisation du service est passible des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal. /Est passible d’une sanction disciplinaire le salarié qui n’a pas informé son employeur de son intention de participer à la grève dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II ».
[2] en un clin d’oeil à CSG