Le 4 février 2010, par Geneviève Koubi,
Une dépêche tombe sur lemonde.fr : Conseil constitutionnel : Pierre Joxe rompt avec le devoir de réserve ; le chapeau annonce : « Dans les derniers chapitres d’un livre (Cas de conscience, éd. Labor et Fides), accompagné d’un entretien au Nouvel Observateur (4-10 février) [1], l’ancien ministre de l’intérieur rompt avec le devoir de réserve auquel sont astreints les membres du Conseil. »
L’information est d’importance à la veille de la nomination de trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel. En substance, par quelques extraits, en voici la teneur : « Dans une liste de désaccords que l’on présume assez longue, M. Joxe a choisi trois exemples : les dispositions concernant la garde à vue des mineurs dans la loi dite ’Perben 2’ (2004) [2] ; l’instauration du contrat première embauche (2006) ; la réforme du mode de nomination des présidents des sociétés de l’audiovisuel public (2009) [3]. Trois mesures que le Conseil a jugées conformes à la Constitution, alors que M. Joxe était partisan de leur censure. » Cependant, il est clairement précisé que « dans son ouvrage, il se garde de transgresser le secret des délibérations. »
Où se situe donc la transgression de la prétendue "réserve" imposée aux membres du Conseil constitutionnel [4] ? Le statut des membres du Conseil constitutionnel fixé, pour une part, par l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique relative au Conseil constitutionnel, suppose que les membres nommés "prêtent serment devant le Président de la République" [5]. En cette occasion, « ils jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution, ainsi que de garder le secret des délibérations et des votes. Seuls les membres de droit [6] sont dispensés de prêter serment » [7].
Toutefois, comme l’article posté sur le site web du journal Le Monde le signale, « il commente abondamment les décisions prises par le Conseil sur chacun des sujets cités, livrant publiquement et de manière argumentée sa propre opinion. Un plaidoyer qui dépasse les cas d’espèces, puisque M. Joxe est un fervent partisan de la publication des "opinions différentes", textes juridiques développant des argumentations contestant celles de la majorité du Conseil. Un principe qui n’existe pas en France alors que (...), il est en vigueur notamment à la Cour suprême des Etats-Unis, ainsi que dans les cours constitutionnelles allemande ou espagnole. »
Cet exemple inédit [8] soulère trois séries d’interrogations : la première est relative à la prestation de serment dont le libellé est le suivant : « Ils jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution et de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil. » (art. 3 Ord. n° 58-1067 du 7 novembre 1958) ; la deuxième concerne le statut des "opinions divergentes", "opinions dissidentes" ou "opinions contraires" (présentées sous l’expression d’opinions différentes) ; la troisième restitue une problématique spécifique quant au for intérieur et, ainsi que le titre de l’ouvrage l’indique, aux "cas de conscience". A ce propos, ne serait-il pas temps de reconsidérer la force de la dictature du verbe ? En différents discours, outre les refus patents d’une écoute des doléances de la société civile, la tendance à la résignation et à l’obéissance, le remaniement perpétuel d’une intégration dans une identité nationale frileuse et le déploiement des politiques répressives ne suscitent-elles pas pléthore d’interrogations quant à la forme des relations sociales qui en découle ?
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Ces trois domaines de questionnements peuvent faire l’objet d’un dossier de recherches en droit public comparé...
[1] L’interview est dans son intégralité in Le Nouvel Observateur du 4 février.
[2] extrait de l’entretien au Nouvel Obs. : « En 2004, j’ai failli démissionner du Conseil tant sa décision sur la garde à vue des mineurs me semblait choquante sur le plan juridique ».
[3] extrait de l’entretien au Nouvel Obs. : « En 2009, j’ai développé devant le Conseil constitutionnel une "opinion différente". J’estimais qu’en acceptant que le Président de France Télévision soit désigné par le chef de l’Etat, le Conseil entérinait une régression du droit et opérait surtout un revirement complet de sa jurisprudence. On m’a écouté poliment mais quand j’ai demandé que mon opinion soit publiée, on ne m’a pas suivi. »
[4] V. cependant, R. Piastra, « Du devoir de réserve des conseillers constitutionnels... », D. 2005 p. 233.
[5] C’est là un des rares cas de prestation de serment dans le cadre des institutions politiques. On notera ainsi que le Président de la République lui-même n’y est pas astreint. L’instituer, ce serait, en République, supposer qu’il soit amené à porter serment sur la Constitution, mais les dispositions de celle-ci ne pourraient alors vagabonder en tous sens. Une proposition de loi constitutionnelle relative à l’instauration d’une prestation de serment pour le président de la République, le président du Sénat et le président de Assemblée nationale avait été dposée en février 2001, en la matière, pour compléter l’article 6 de la Constitution : « Avant d’entrer en fonction, le Président de la République prête devant le Conseil constitutionnel un serment dont la teneur suit : "Je jure, comme Président de la République, de loyalement remplir mes fonctions avec dignité, simplicité, exactitude et fidélité aux valeurs fondamentales de notre République. Respectueux de la Constitution dont je suis le gardien, je resterai toujours dans le rôle qu’elle m’assigne. Je le promets librement, solennellement et sur mon honneur". » Ce ne fut pas retenu...
[6] Ce sont les précédents Présidents de la République.
[7] V. le site web du Conseil constitutionnel sur le statut des membres.
[8] .. en attendant de lire l’ouvrage en cause.