Le 29 août 2012, par Geneviève Koubi,
Par un article d’Élise Vincent, Le Monde.fr annonce, ce 29 août 2012 à 10h44, en un titre aux couleurs d’un été rude que « La circulaire sur les évacuations de campements roms (est) publiée » :
« La circulaire mettant en pratique les annonces du gouvernement sur les Roms a été publiée mercredi 29 août. Le texte, (...), est signé de la main des six ministres concernés par le dossier, dont le ministre de l’intérieur, ..., la ministre du logement, ..., ou encore le ministre du travail, ..., et la ministre de la réussite éducative, .... La circulaire fait suite à la réunion interministérielle du 22 août, où le gouvernement avait notamment annoncé être prêt à une levée partielle des "mesures transitoires" qui restreignent l’accès au marché du travail des Roms (...). Après la polémique de l’été, elle donne surtout un cadre relativement précis aux préfets, sur la façon dont les campements illégaux doivent désormais être démantelés. »
.
Sur le site du journal Libération, c’est par ce titre que l’information est donnée : « Roms : une circulaire de compromis ». Le journal La Croix choisit la présenter sans aucun commentaire comme relevant des "actions de l’État" : « Évacuations de campements de Roms et actions de l’État »
.
Il est assez rare que les médias fassent état de la publication d’une circulaire. S’ils en délivrent l’information quant à son existence, le plus souvent, ils se contentent d’en décrire les axes et les orientations, - ce qui pourrait être désigné sous l’expression de "grandes lignes". Parfois, effectivement, ils en proposent le lien pour que chacun puisse avoir accès à son contenu. Or, en toute logique, l’accès offert au texte d’une circulaire par ce type de liens - permettant son téléchargement - comme une publication dans un quotidien quelconque n’officialise en rien la circulaire en cause.
Mais sur quel support la circulaire INTK1233053C du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites est-elle publiée ’officiellement’ ? Il se trouve en effet que cette circulaire n’est pas encore, - à cet instant -, publiée sur le site réglementaire "www.circulaires....gouv.fr" [1]. Il est cependant à noter que bien des circulaires adressées aux préfets n’apparaissent pas sur ce site. La question de la validité de ce site consacré aux circulaires en devient lancinante !
Le texte de la circulaire du 26 août 2012 n’est pas posté sur le site web du gouvernement, il n’apparaît pas plus sur le site du ministère de l’intérieur. Certes, sur ce dernier site, un communiqué de ce ministère en date du 8 août 2012 avait déjà fait état de la « légalité des demandes d’évacuation de campements illicites ». Dans ce communiqué, il était clairement signifié que : « Les décisions administratives de concours de la force publique et d’évacuation seront prises à chaque fois qu’elles s’imposeront, et avec fermeté. Elles le seront en considération des circonstances et difficultés locales et tout particulièrement des risques sanitaires. Les campements insalubres sont inacceptables. Souvent situés au cœur de quartiers populaires, ils sont aussi un défi au "vivre-ensemble" qui ne doit échapper à personne. » La teneur de ce communiqué a sans aucun doute influencé la rédaction de la circulaire du 26 août 2012.
.
Dans son article sur lemonde.fr, Élise Vincent donne cette description de la circulaire : « Longue de sept pages, elle est à ce titre intitulée "circulaire relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites". Un changement de ton important dans les consignes données aux préfets (...). La circulaire demande ainsi aux représentants de l’État de maintenant "procéder à une première évaluation de la situation" des Roms "dès [qu’ils auront] connaissance " de l’installation d’un campement. Le texte insiste aussi beaucoup sur la notion de "concertation" avec les associations et les autres acteurs publics. Si la "sécurité" des personnes est menacée, les évacuations pourront toutefois continuer à se faire de façon "immédiate", (...). Sur les restrictions à l’emploi, la circulaire précise que la levée partielle des mesures transitoires entre en vigueur dès maintenant. Les employeurs n’ont donc, à partir d’aujourd’hui, plus à payer une taxe auprès de l’Office français d’immigration et d’intégration (OFII). La liste des métiers où la situation de l’emploi ne sera pas opposable aux Roms sera, quant à elle, élargie "prochainement". La circulaire insiste enfin sur une dimension nouvelle : les préfets devront faire attention à la façon dont ils communiqueront sur les aides à la réinsertion qui seront développées envers les populations roms. "Les personnels mobilisés doivent être bien informés qu’il s’agit là de l’application légitime du principe d’égalité républicaine et non d’une discrimination, fût-elle positive", précise le texte. »
Lire la circulaire INTK1233053C du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites, telle qu’elle a été recopiée (en lien) par le journal Le Monde sur son site internet, permet de rendre compte d’une "continuité administrative". Le vocabulaire est le même qu’auparavant [2] ; seules quelques phrases permettent effectivement de relever une tonalité moins agressive et plus respectueuse des personnes ... mais elles n’en sont pas moins ’stigmatisantes’.
Adressée aux préfets, la circulaire entre d’emblée dans le vif du sujet ; le premier paragraphe introductif est révélateur d’une posture d’autorité "ministérielle" quelque peu abrupte : « Vous pouvez être amenés à intervenir dans des situations d’installations de personnes, réalisées sans droit ni titre, sur des propriétés publiques ou privées, pour y constituer des campements illégaux. La présente circulaire, qui sera votre cadre de référence, a pour objectif de guider votre action. Les dispositions qu’elle recense constituent votre guide de référence. » De toute évidence, au vu des obligations attachées aux fonctions de préfet, de telles ’instructions’ ne permettent pas à ce seul titre de relever le caractère impératif de cette circulaire.
Si l’objectif de la circulaire est de mettre au goût du jour l’antienne de la "concertation" exposé depuis la mi-mai 2012, la responsabilité du préfet étant « d’apprécier les situations locales pour mettre en œuvre les principes de dignité et d’humanité en les partageant avec les partenaires », il est assez vite précisé que dans certains cas toute discussion est inutile : « Il est rappelé au préalable que, dans certains cas, la situation au regard de la sécurité des personnes, y compris d’un point de vue sanitaire, peut imposer une action immédiate. » Le risque d’arbitraire pointe... Certes, il est ajouté que : « Plus fréquemment, lorsque le propriétaire a obtenu une décision de justice prononçant l’expulsion des occupants sans titre, il vous appartient, lorsque cela est nécessaire, d’accorder le concours de la force publique en vue de l’exécution de cette décision juridictionnelle. De même, s’il apparaît à l’occasion de ces opérations que certaines personnes ne se trouvent pas dans une situation régulière au regard des règles régissant le droit de séjour en France, il vous appartient d’en tirer toutes les conséquences, selon le droit commun. » L’abri de la décision de justice est ainsi un moyen de légitimer les évacuations des ’campements illicites’ mettant ainsi à distance les jeux d’un accompagnement que l’intitulé de la circulaire annonçait en première ligne. L’évacuation prime largement sur l’accompagnement. Le démantèlement d’un campement paraît plus important que l’attention à porter aux personnes qui s’y sont installées presque toujours en attente de leur prochaine expulsion (du campement comme du territoire).
Pourtant, c’est surtout pour l’accompagnement que la notion de ’participation’ et, en filigrane, de ’concertation’, est le plus sérieusement signifiée, en dépit de l’intitulé du paragraphe 1. de la circulaire : « Mobiliser les services de l’État et les acteurs locaux concernés ». De fait, comme l’annonce la circulaire, « la mise en place des mesures d’accompagnement, d’insertion et d’hébergement doit conduire à faire participer largement les acteurs locaux, au premier rang desquels les collectivités territoriales, sans lesquelles aucune solution efficace ne peut être construite. » Plus encore, afin de ne pas être taxé de laxisme - et peut-être parce que le slogan ’L’humain d’abord’ n’est pas celui d’une majorité présidentielle - la participation de tous les acteurs aux dispositifs exposés doit être teintée d’inflexibilité sous le label de la ’fermeté’, la sécurité l’emportant sur l’humanité : « C’est la mobilisation de l’ensemble des partenaires, et des moyens de chacun, intervenant le plus en amont possible, qui permettra d’identifier et de mettre en œuvre les solutions d’insertion les plus adéquates, dans un double objectif de fermeté en matière de sécurité et d’humanité dans la prise en charge des personnes. »
L’accompagnement est l’objet central du paragraphe 3. de la circulaire : « Mettre en place un accompagnement ». Il s’entend comme d’une action dépendante du diagnostic de la situation de chacune des familles ou personnes isolées, qui préalablement établi - objet du paragraphe 2. - peut permettre d’envisager pour certaines d’entre elles ’une aide au retour volontaire’. Cet accompagnement concerne les dispositifs d’insertion - professionnelle plus que sociale -, et induit « la continuité de l’accès aux droits des personnes (sic), notamment en matière de prise en charge scolaire et de parcours de soins, afin de maintenir, autant que possible, un suivi des actions collectives et individuelles d’insertion des personnes. » Le principe de l’obligation scolaire est rappelé explicitement. Les questions sanitaires sont rapidement évoquées par renvoi aux Agences régionales de santé.
Les problèmes relatifs à l’hébergement sont agencés en deux temps : à court terme et "dans une action plus suivie". Ils sont liés ’in fine’ à la prise en considération des "situations particulières des personnes concernées" : il s’agit, en effet, de « favoriser les parcours d’insertion qui, pour être efficaces, doivent être présentés et expliqués aux intéressés puis, nécessitent que les ménages adhérent pleinement à ce type de projet et qu’ils soient stabilisés dans des conditions décentes, et accompagnés sur une période temporelle compatible avec l’accès à l’emploi et, in fine, à un logement pérenne. » Dans l’urgence, « préalablement à l’évacuation, le recours à l’hébergement d’urgence doit être recherché lorsque cela est nécessaire, adapté aux situations personnelles et possibles en fonction des disponibilités de places (...). Une attention particulière doit être portée aux personnes les plus vulnérables ». A moyen terme, enregistrant la constance de la précarité par un système "passager", peut être prévu « l’aménagement d’un site d’accueil provisoire ou d’autres solutions d’hébergement adapté peuvent être envisagés dans certains cas, dans l’objectif de stabiliser transitoirement ( ?!) les personnes concernées pour favoriser leur insertion. »
L’insertion s’entend principalement en matière professionnelle, ont récemment été revues, par le gouvernement, les conditions d’accès au marché de l’emploi [3] pour les ressortissants roumains et bulgares, dans le but de les rapprocher des conditions applicables à l’ensemble des ressortissants communautaires. Ils sont pourtant citoyens européens. C’est donc en ce domaine que la fonction de la nationalité des ’personnes concernées’ interfère. Les dispositions exposées ne visent alors que les seuls ressortissants roumains et bulgares.
Comme le note Élise Vincent dans son article précité, « la liste des métiers qui leur sont ouverts sans que la situation de l’emploi ne leur soit opposable sera prochainement élargie » mais ceci, seulement « après mise en œuvre des procédures de consultation des partenaires sociaux » [4].
Il est toutefois assez surprenant de relever dans un des paragraphes de cette circulaire relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites que la problématique s’inscrit dans le cadre de la gestion des ’catégories de populations’, pointant là les « catégories de populations en situation de fragilité ». La phrase suivante, d’ailleurs relevée dans l’article publié sur lemonde.fr, ne mériterait-elle pas d’être soigneusement décortiquée ? « Les partenaires, les personnels mobilisés doivent être bien informés qu’il s’agit là de l’application légitime du principe d’égalité républicaine et non d’une discrimination, fût-elle positive. ». Que de confusions !!
.
Plus tard - ce même jour. La circulaire est publiée sur le site des circulaires et instructions géré par Legifrance. Voici sa présentation :
Anticipation et accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites.
Domaine(s) : Intérieur / Ministère(s) déposant(s) : INT - Intérieur / Autre(s) Ministère(s) concerné(s) : ETS - Travail, emploi, formation professionnelle et dialogue social ; RED - Education nationale, réussite éducative ; MEN - Education nationale ; HAN - Affaires sociales et santé, personnes handicapées ; FAM - Affaires sociales, santé, famille ; ETL - Egalité des territoires et logement
Date de signature : 26/08/2012 | Date de mise en ligne : 29/08/2012
Résumé : La présente circulaire précise le cadre de l’action de l’Etat dans le cas d’évacuations de campements illicites, ainsi que le dispositif de coordination des acteurs locaux à mettre en œuvre autour du Préfet. L’action de l’Etat relative aux campements illicites s’inscrit dans le respect des principes fondateurs de la République. En premier lieu le respect des décisions de justice ne saurait être mis en question. Il revient au préfet d’exécuter celles-ci, lorsqu’il est ordonné par le juge qu’il soit mis fin, au besoin avec le concours de la force publique, aux occupations illicites de terrains. Lorsque la sécurité des personnes est mise en cause, cette action doit être immédiate. Dans les deux situations, au-delà de la responsabilité de l’État, il en va des fondements même du contrat social dans notre Nation.Il convient également, au regard de ces principes, d’assurer un traitement égal et digne de toute personne en situation de détresse sociale. Il vous incombe donc, en initiant le travail le plus en amont de la décision de justice qu’il est possible, de proposer des solutions d’accompagnement en mobilisant prioritairement les moyens de droit commun de chacun des partenaires. Cela suppose, dans une logique d’anticipation et d’individualisation, l’établissement, chaque fois que possible, d’un diagnostic et la recherche de solutions d’accompagnement, dans les différents domaines concourant à l’insertion des personnes (scolarisation, santé, emploi, logement/mise à l’abri...).
[1] V. le PS à la fin de cet article...
[2] V. sur CPDH : « Circulaire du 5 août 2010 d’évacuation prioritaire des "Roms" : une violation frontale de l’article 1er de la Constitution. Mais après ? (CE, 7 avril 2011, Association SOS Racisme) ».
[3] A noter : La circulaire, en faisant référence à Pôle emploi, use de l’expression "service public de l’emploi".
[4] A ce propos, est annoncée encore une autre circulaire "prochaine" : « Les taxes dues par l’employeur et le ressortissant lui-même à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) lors de la délivrance du titre de séjour ou de son renouvellement sont supprimées. Vous recevrez très prochainement une instruction conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre délégué chargé du budget en ce sens. » Il est toutefois signalé qu’« il sera fait application dès maintenant de ces nouvelles dispositions. L’entrée en vigueur de cette mesure est, en effet, immédiate. » La circulaire du 26 août 2012 peut-elle servir valablement de fondement légal aux comportements suscités par cette affirmation ?