Le 24 octobre 2012, par Geneviève Koubi,
Au moins, pour la circulaire INTV1234497C, en date du 16 octobre 2012, relative aux modalités d’application des dispositions de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en ce qu’elles concernent la signature et la remise de la charte des droits et devoirs du citoyen français, le ministère de l’intérieur n’aura pas trop tardé à assurer sa mise en ligne ; celle-ci est intervenue le 23 octobre 2012.
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Il est vrai que, dans le cadre de la société de l’information et au vu des développements des circuits de communication gouvernementale, il est de plus en plus difficile d’admettre que les circulaires fassent l’objet de considérations diverses dans les médias lesquels répercutent les critiques ou les approbations qui les concernent bien avant que les citoyens lambdas ne soient mis à même de les consulter in extenso. Ainsi, les descriptions de leurs contenus, assorties de remarques et observations qu’elles soient de louanges ou de réprobations, délivrées par les divers organes de presse forment-elles les principaux canaux d’information... Ce, alors même que ces commentaires ne révèlent pas vraiment la teneur de ces circulaires. En effet, parfois, les synthèses qui en sont faites désubstantialisent les textes des circulaires en cause ; puis, le temps passant, plus que l’oubli de l’existence des circulaires ainsi présentées, c’est la connaissance de celles-ci qui s’étiole. Elle se réduit, collée à ces indications sommaires ou déformées. Or, pour cette fois, ce ne serait pas le cas... du moins pour ceux qui ne se contentent pas de ce mode d’accès médiatisé à l’information administrative.
Mais, cette circulaire INTV1234497C du 16 octobre 2012 est-elle celle dont les médias se sont faits le premier vecteur d’informations ? Concerne-t-elle vraiment la naturalisation ? Le journal Le Monde avait affiché d’autres informations au 19 octobre 2012 sous un titre plus percutant : « Le ministre veut faciliter l’acquisition de la nationalité ». Au 28 septembre, puis deux jours plus tard, le 30 septembre 2012, Le Monde annonçait que le ministre de l’intérieur avait pour objectif d’« assouplir par circulaire les critères de naturalisation ». D’autres affichages avaient été signalés auparavant dès le mois de juillet 2012. Dès lors, que nul ne s’étonne que, dans l’article publié au 18 octobre 2012, cet écart dans le temps a été relevé : « Quatre mois après l’avoir annoncée, le ministre de l’intérieur ... a publié, jeudi 18 octobre, une circulaire pour rouvrir plus largement l’accès à la nationalité française ». Mais est-ce bien de cette circulaire mise en ligne au 23 octobre 2012 dont il est question ?
Bien sûr que non ! Il suffit de relever les points retenus dans cet article publié dans Le Monde du 19 octobre 2012 pour s’en convaincre rapidement. De la présente circulaire du 16 octobre 2012, peu de journaux s’en sont faits l’écho.
La circulaire dont Le Monde, entre autres, s’est emparé est la circulaire INTK1207286C relative aux procédures d’accès à la nationalité française de même date, du 16 octobre 2012 et mise en ligne le même jour, le 23 octobre 2012. Pour autant, cette dernière circulaire relative aux procédures d’accès à la nationalité française préfigure la circulaire concernant la signature et la remise de la charte des droits et devoirs du citoyen français en précisant que « l’accès à la nationalité française permet de distinguer un parcours d’intégration réussi en France caractérisé par une maîtrise de notre langue, une adhésion aux valeurs et principes qui régissent notre République et une autonomie suffisante pour permettre un exercice plein et responsable des droits et devoirs attachés à la qualité de citoyen. »
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Le champ couvert par la circulaire du 16 octobre 2012 relative aux modalités d’application des dispositions de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en ce qu’elles concernent la signature et la remise de la charte des droits et devoirs du citoyen français est assez étroit. Si les journaux n’en ont pas donné le "la" en évoquant la circulaire de même date sur les processus de naturalisation des étrangers, dans les quelques passages qu’ils ont alors soulignés ils auraient pu rendre compte de la tendance à la contraction et à la restriction des espaces saisis par l’interprétation administrative dans les domaines d’attribution du ministère de l’intérieur en matière d’immigration. Celle-ci s’avère en quelque sorte ’classique’ dans les modes d’appréhension de la situation juridique des étrangers en France.
Alors qu’on pouvait penser que cette charte des droits et devoirs du citoyen français [1] soit remaniée, recomposée et restructurée à partir du moment où la question du droit de vote des étrangers non ressortissants de l’Union européenne pouvait enfin être résolue, cette circulaire INTV1234497C du 16 octobre 2012 l’enracine telle quelle dans les parcours d’intégration des étrangers en France. Ainsi que le ministre de l’intérieur le rappelle, la force à attribuer à cette charte repose sur le décret n° 2012-127 du 30 janvier 2012 approuvant la charte des droits et devoirs du citoyen français prévue à l’article 21-24 du code civil. Était-il besoin de préciser dans la circulaire qu’il s’agissait d’un décret "en Conseil d’État" ? [2] L’approbation de la charte placée en "annexe" au décret la transforme-t-elle en une prescription essentielle ? L’article 1er (unique presque) de ce décret dispose : « Est approuvée, telle qu’elle est annexée au présent décret, la charte des droits et devoirs du citoyen français prévue à l’article 21-24 du code civil. » A relire les dispositions de l’article 21-24 du Code civil, l’interrogation persiste. La signature de la charte devait-elle emporter nécessairement un tel effet pour l’accès à la nationalité ?
La présente circulaire ne modifie que peu de choses quant aux vérifications et contrôles subis par un étranger demandant la nationalité française. La notion même de "contrôle d’assimilation" retrace la logique d’une recherche de francisation primaire par la pratique de la langue et par des mécanismes d’acculturation. Elle est inévitablement teintée d’une certaine idéologie tendant à des postures de soumission et de subordination ... comme le veut le discours moral du Droit à propos de l’obéissance aux lois. Les images du "bon citoyen" s’approchent ainsi des sous-entendus de la Déclaration des droits et des devoirs ouvrant la Constitution du 5 Fructidor an III (22 août 1795) [3]. La signature de la charte des droits et des devoirs du citoyen français validée en 2012 est donc le but ultime de l’entretien. Elle est "obligatoire". Tout refus de signature entraîne l’irrecevabilité de la demande de naturalisation "pour défaut d’assimilation à la communauté française". Ce mot de "communauté" revêt une curieuse consonance dans ce cadre !
Cependant, alors que le décret n° 2012-127 du 30 janvier 2012 approuvant la charte des droits et devoirs du citoyen français prévue à l’article 21-24 du code civil n’enregistre que le texte de ladite charte, le document à signer par le postulant à la nationalité française comporte aussi le "préambule rédigé par le Haut conseil à l’intégration". Lequel est-il ? La circulaire du 16 octobre 2012 indique en effet que « la charte, dans sa version destinée à être signée par les postulants, comprend le préambule rédigé par le Haut Conseil à l’Intégration. Elle vous est parallèlement transmise par voie télématique en format Word afin que vos services puissent procéder à son édition. »
A la fin de la circulaire, après la signature du ministre, un formulaire est présenté, il n’est pas signifié comme "annexe". Ce formulaire comporte, en préliminaire à la présentation de la charte des droits et des devoirs du citoyen français, ces paragraphes : « Vous souhaitez devenir Français. C’est une décision importante et réfléchie. Devenir Français n’est pas une simple démarche administrative. Acquérir la nationalité française est une décision qui vous engage et, au-delà de vous, engage vos descendants. / C’est pour vous et pour vos descendants, la volonté d’adopter ce pays qui vous a accueilli et qui va devenir le vôtre, adopter son histoire, ses principes et ses valeurs et ainsi, en intégrant la communauté nationale, accepter de contribuer à le défendre et devenir un acteur solidaire de son avenir. En retour, la France vous reconnaît comme un citoyen de la République. / En acquérant la nationalité française, vous bénéficierez de tous les droits et serez tenu à toutes les obligations attachées à la qualité de citoyen français à dater du jour de cette acquisition. En devenant Français, vous ne pourrez plus vous réclamer d’une autre nationalité sur le territoire français. / Afin de s’assurer de votre bonne compréhension des droits et devoirs de tout citoyen français, et en particulier de la loyauté que chacun doit à la République française, il vous est demandé de prendre connaissance de la présente charte, puis, si vous y adhérez, de la signer. Votre signature qui est la marque de votre engagement, est une condition indispensable d’obtention de la nationalité française. » Ces quelques phrases forment-elles bien le "préambule rédigé par le Haut conseil à l’intégration" ?
Cet ajout n’est pas anodin. Il est possible même de s’interroger sur sa validité intrinsèque dans la mesure où le défaut de signature du document présenté comporte de telles conséquences :« Le postulant qui refuserait de signer la charte verrait sa demande de naturalisation déclarée irrecevable, pour défaut d’assimilation à la communauté française ».
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Une fois signé le document est enregistré et conservé dans le dossier du postulant à la nationalité française : « A l’issue de l’entretien, l’étranger signera la charte. L’exemplaire signé sera conservé dans son dossier. Une copie devra lui en être remise. » De ce fait, ce n’est pas le document signé par lui qui lui est remis lors de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française. Outre le fait que l’administration reste dépositaire de "l’original", c’est sur le passage discursif là effectué de la nationalité à la citoyenneté qu’il serait utile de s’arrêter. Il peut servir de base à une étude de la dissociation intrinsèque entre ces deux modèles [4].
La signature de la charte assortie du préambule permet à l’étranger d’acquérir la nationalité française, la cérémonie qui se clôt par la remise du texte de la charte des droits et des devoirs lui accorde la qualité de citoyen : « La version de la charte des droits et devoirs du citoyen français remise au postulant lors de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française est un document non nominatif et en forme solennelle ».
Sans cérémonie solennelle, sans remise de ce texte « non nominatif », l’étranger deviendrait-il un national non citoyen ? La circulaire précise ainsi : « Alors même que la signature de la charte n’est requise que des postulants à la nationalité française par décision de l’autorité publique, la charte, dans sa version non nominative, sera jointe au livret et remise à tous les étrangers accédant à la citoyenneté française au cours de la cérémonie d’accueil. » La structure de cette phrase invite ainsi à une réflexion sur ces formes (juridiques) et formalités (administratives)...
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En final, il apparaît que, pour le ministre de l’intérieur, la signature de la charte est beaucoup plus importante que la cérémonie d’accueil... Ce qui, tout aussi évident que cela soit, pourrait susciter bien d’autres questionnements !
[1] V. G. Koubi, « Une charte... Des droits et des devoirs "de" ou "du" citoyen français ? ».
[2] Comp. les termes de la circulaire avec la présentation de l’avis du Haut conseil à l’intégration à propos de cette charte : « Aux termes de l’article 21-24 du Code civil, modifié par la loi n°2011-672 du 16 juin 2011 : “Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. A l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’Etat, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française”. » Est-ce un copier-coller ?
[3] En quelques articles de la partie "Devoirs" de cette déclaration : art. 3. « Les obligations de chacun envers la société consistent à la défendre, à la servir, à vivre soumis aux lois, et à respecter ceux qui en sont les organes. » ; art. 4. « Nul n’est bon citoyen, s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux. » ; art. 5. « Nul n’est homme de bien, s’il n’est franchement et religieusement observateur des lois. » ; art. 6. « Celui qui viole ouvertement les lois se déclare en état de guerre avec la société. » ; art. 7. « Celui qui, sans enfreindre ouvertement les lois, les élude par ruse ou par adresse, blesse les intérêts de tous : il se rend indigne de leur bienveillance et de leur estime. » ; art. 8. « C’est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail, et tout l’ordre social. » ; art. 9. « Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de l’égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l’appelle à les défendre. »
[4] Ce qui permettrait de repenser les modes d’élaboration d’une loi ou d’un décret accordant aux étrangers le droit de vote aux élections locales...