Le 19 décembre 2012, par Geneviève Koubi,
Du scepticisme, des déceptions, des regrets s’expriment déjà [1]...
Le Rapport sur les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, remis le 17 décembre 2012 au Président de la République, ne répond qu’aux seules attentes d’un ministère... Il justifie par avance le projet de loi, préparé sans nul doute avant même que se tiennent ces Assises, même si le communiqué placé sur le site de l’Elysée indique que « le Président de la République a demandé à Geneviève Fioraso de préparer un projet de loi articulé autour de quatre objectifs : mieux assurer l’insertion professionnelle de tous les étudiants ; simplifier l’organisation de la recherche et de son évaluation ; faciliter le décloisonnement entre grandes écoles, universités et organismes de recherche ; concilier efficacité et collégialité dans les instances universitaires. »
L’ensemble des propositions élaborées pour "faire évoluer l’enseignement supérieur" semble atone [2]. Cependant, ainsi que le rapport lui-même le concède,« la quantité des contributions, tout à fait considérable (près de 1300 contributions, 26 rapports territoriaux, des rapports d’ateliers ou de focus) constitue un corpus d’une richesse très importante. Ce corpus appellera sans doute des travaux d’analyse sur une échelle de temps beaucoup plus longue, travaux qui amèneront de nouvelles synthèses, et peut-être même (...) des travaux de recherche. » (p. 76) De fait, le rapport final semble ’petit’ vue la somme de contributions déposées sur le site des Assises.
Les traits les plus saillants - ceux qui accrochent les critiques - ne sont pas les plus visibles. Néanmoins, les termes généraux du rapport accordent une mention honorable à la pensée libérale qui fait des universités des entreprises grâce à la loi LRU [3]. Dans ce cas, « si le rapport des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ne fait que confirmer ouvertement une politique de marchandisation et de démolition de la recherche et de l’enseignement supérieur publics, c’est tout sauf surprenant. » [4]
Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) sont ainsi au centre du projet pour que le mouvement de fusion des universités se poursuive. Or ces PRES doivent permettre l’accession des universités françaises à l’autonomie ; ils sont conçus, ainsi que le présente le site du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme « un moyen de prendre place dans la compétition scientifique internationale ». De fait, sur ce site, les PRES signifieraient "une accélération des regroupements universitaires" : « Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) constituent le moyen le plus efficace et le mieux adapté pour organiser le rapprochement entre les établissements d’un même site ou d’un large bassin. Cette structure est suffisamment souple pour permettre, soit la préfiguration d’une fusion entre établissements (PRES pré-fusionnel, débouchant sur la constitution d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel), soit l’exercice en commun d’un nombre plus ou moins grand de compétences (PRES de coopération ou de mutualisation). »
Le Rapport sur les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche du 17 décembre 2012 duplique donc les projets développés auparavant pour faire des universités des vitrines de marque... d’un enseignement pensé pour les entreprises et d’une recherche élaborée pour les compagnies d’industriels et commerçants...
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En vrac, il ressort de ce rapport que :
Le dogme de la réussite à tout prix posé par la loi LRU en sort consolidé : le produit en lui-même (le diplôme) l’emporte sur sa qualité intrinsèque et le contenu du diplôme dépend des souhaits des entreprises. La création de lycées d’enseignement supérieur, assurant seulement de l’obtention d’une licence qui prendra la forme d’un baccalauréat supérieur, s’annoncerait-elle donc en filigrane ? [5]
L’idée d’une "régionalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche" [6] permet en effet de poser la question ce d’autant plus qu’un des objectifs est de développer "les grandes universités" - dont les PRES seraient la configuration principale (proposition 95) - qui, suite aux fusions réalisées, seront appelées à contractualiser avec l’État. La proposition 100 n’est pas anodine : « Rendre obligatoire l’élaboration de Schémas Régionaux de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (SRESRI), par l’ensemble des collectivités locales pertinentes - avec la Région comme chef de file -, les établissements et organismes, en associant le monde socio-‐économique, en présence de l’État ». Ceci revient à défaire certaines universités de leur originalité. Mais, comment concilier cette perspective régionalisante avec l’affirmation relative à une rationalisation des recrutements destinée à "lutter contre l’abus de recrutements locaux" (propositions 125 et 127) ? On voit d’ailleurs mal comment cette lutte s’organiserait si devait être décidée la suppression de la procédure nationale de qualification (proposition 126) [7]...
La recherche fondamentale, consubstantielle à l’enseignement supérieur, s’en trouve alors encore une fois quelque peu délaissée. Le statut des "doctorants" en concentre les données. Émerge cependant un appel à "éliminer toute référence au concept de périmètre d’excellence". Mais surtout, à l’égard des recherches proprement dites, se dessinent des moyens pour les encadrer, de les contenir et de les formater grâce aux procédures électroniques d’appel d’offres, empêchant donc toute créativité, toute inventivité. L’exception qui permet au CNRS de soutenir certaines initiatives "en dehors des appels à projets classiques" (proposition 64) ne contredit pas cette observation puisque l’enjeu serait de réunir toutes les forces de l’enseignement supérieur et de la recherche et de les mobiliser « pour fonder un agenda stratégique sur les grands enjeux de société ainsi que sur les objectifs de compétitivité. » (p. 34)
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On retiendra toutefois que le rapport des Assises préconise d’« annuler l’accord signé le 18 décembre 2008 entre la France et le Vatican et portant sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur »(proposition 28) [8]...
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NB : Pour ce qui concerne les enseignants chercheurs, la dématérialisation des échanges avec le ministère comme avec leur établissement d’accueil sera généralisée [9] : un modèle de rapport d’activité individuel, dans un format simple devra désormais être utilisé "dans toutes les procédures d’évaluation (personnes ou projets), de promotions, d’attribution de primes, etc." (proposition 116) [10]. La simplification des dossiers n’est pas pensée pour les enseignants chercheurs mais bel et bien pour des administrateurs qui se contenteront de les ’scanner’ à l’aide de quelques mots-clefs...
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[1] V. sur le blog La science au XXIe siècle, « CNRS, recherche, enseignement supérieur et précarité (III) » ; sur letudiant.fr, « L. Vogel "Sans moyens, toutes les propositions des Assises resteront un vœu pieux" » ; P. Dubois, « Assises : un rapport consternant ! ».
[2] V. sur le blog du Monde, Le grand amphi : N. Brafman et I. Rey : « 131 propositions pour faire évoluer l’enseignement supérieur » ; v. aussi, sur letudiant.fr : Enseignement supérieur et recherche : les Assises au rapport.
[3] En dépit des dires du rapporteur : v. sur letudiant.fr, propos recueillis par C. Stromboni, « Vincent Berger (rapporteur des Assises) : "La correction de la loi LRU devra être une priorité dans la rédaction du texte à venir" ».
[4] blog La science au XXIe siècle, « CNRS, recherche, enseignement supérieur et précarité (III) ».
[5] Ce volet est hors champ du présent propos. D’autres analyses seront par la suite développées - lors de cours en présentiels en droit de l’éducation.
[6] v. sur localtis.info : V. Liquet : « La peur de la "régionalisation" a gagné les Assises de l’enseignement supérieur ».
[7] A titre d’information à l’attention des juristes, politistes, économistes : « La normalisation des dispositions relatives au recrutement d’enseignants chercheurs dans les disciplines du droit, de l’économie ou de la gestion (les sections 1 à 6 du CNU) ... paraît souhaitable. » D’où ressort la proposition 122 : « Créer une voie de recrutement identique à celle existant pour les autres sections, ouverte sans condition d’ancienneté, pour les sections 1 à 6 du CNU ».
[8] V. pour mémoire, Gk, « La "catholicisation" de l’enseignement supérieur » et « Vers des diplômes en dés-accord vaticanesque ».
[9] ELECTRA, GALAXIE, ANTARES, ANTEE, FIDIS, ALTAÏR, et autres en forment des exemples.
[10] Gare à celui qui ne respecterait pas les formats imposés !