Le 4 décembre 2015, par Geneviève Koubi,
Le décret n° 2015-1580 du 2 décembre 2015 modifiant le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l’intérieur, publié au Journal officiel du 4 décembre 2015, devra désormais être lu à la lumière de l’état d’urgence – dont on peut raisonnablement s’inquiéter de son éventuelle pérennisation du fait d’une recherche de constitutionnalisation qui supposerait la mise en place d’un État policier.
Outre le fait que les « fichiers » se multiplient, ce décret du 2 décembre 2015 vise, au titre des publics concernés, autant les : « personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission d’un crime ou d’un délit ; personnes mises en cause dans une procédure criminelle ou délictuelle, dont l’identification certaine s’avère nécessaire ; personnes détenues dans un établissement pénitentiaire qui font l’objet d’une procédure pour crime ou délit, en vue de s’assurer de manière certaine de leur identité et d’établir les cas de récidive » que les personnes dont l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques est recherchée « dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire ; à des fins médicales ou de recherche scientifique ; aux fins d’établir, lorsqu’elle est inconnue, l’identité de personnes décédées », (c’est-à-dire celles qui sont « visées au septième alinéa de l’article 16-11 du code civil ») que les personnels habilités à alimenter ou à consulter le fichier automatisé des empreintes digitales, donc les : « fonctionnaires de la police nationale ; militaires de la gendarmerie nationale ; agents des douanes » [1].
Plus qu’une simple modification du décret n° 87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) géré par le ministère de l’intérieur [2], il s’agit d’une réécriture de ce décret.
En effet, le résumé prétend essentiellement préciser « les finalités pour lesquelles le traitement automatisé de traces et empreintes digitales et palmaires est autorisé » alors qu’il élargit le champ des données pouvant être enregistrées comme le relève la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) [3] puisqu’il s’agit « d’intégrer la nouvelle procédure de vérification du droit au séjour des étrangers dans le décret relatif au FAED et de formaliser la procédure prévue à l’article 78-3 du CPP (vérification d’identité) ». De ce fait, « deux nouvelles finalités sont assignées au FAED, qui permettent uniquement la collecte des empreintes aux fins de comparaison avec celles déjà enregistrées dans le FAED, mais non leur enregistrement dans le fichier. Il s’agit, d’une part, de « garantir le droit au séjour des ressortissants étrangers en situation irrégulière et de lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier en France des ressortissants étrangers » et, d’autre part, de « permettre l’identification des personnes dans le cadre de la procédure de vérification d’identité de l’article 78-3 du code de procédure pénale » ». Ainsi, le résumé du décret proposé par le ministère de l’intérieur paraît quelque peu tronqué en ce qu’il annonce qu’il « limite aux seuls crimes et délits le champ infractionnel dans le cadre duquel il est possible de recourir au traitement ». Or, au regard de l’article 1, II du décret réécrit (art. 2 du décret du 2 décembre 2015), est autorisé la consultation du traitement automatisé de traces et empreintes digitales et palmaires « - en vue de permettre l’identification d’un étranger dans les conditions prévues à l’article L. 611-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; / - en vue de permettre l’identification des personnes dans le cadre de la procédure de vérification d’identité de l’article 78-3 du code de procédure pénale. » - ceci, « dans le cadre et pour les besoins exclusifs des procédures judiciaires dont ils sont saisis » ou « dans le cadre et pour les besoins exclusifs : 1° Des recherches aux fins d’identification des personnes décédées (...) ; 2° Des procédures d’identification prévues aux articles L. 611-1-1, L. 611-3 et L. 611-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dont ils sont saisis ; 3° Des mesures de vérification d’identité de l’article 78-3 du code de procédure pénale. »
De plus, à l’article 3 du décret de 1987 ainsi remanié, il est précisé que « Peuvent être enregistrées : // 1° Les traces relevées dans le cadre : a) D’une enquête pour crime ou délit flagrant ; b) D’une enquête préliminaire ; c) D’une commission rogatoire ; d) D’une enquête ou d’une information pour recherche des causes de la mort ou d’une disparition (...) ; e) D’une enquête consécutive à la découverte d’une personne grièvement blessée, lorsque la cause de ses blessures est inconnue ou suspecte (...) ; f) De l’exécution d’un ordre de recherche délivré par une autorité judiciaire ; //2° Les empreintes digitales et palmaires relevées dans le cadre d’une enquête pour crime ou délit flagrant, d’une enquête préliminaire, d’une commission rogatoire ou de l’exécution d’un ordre de recherche délivré par une autorité judiciaire, lorsqu’elles concernent des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission d’un crime ou d’un délit, ou des personnes mises en cause dans une procédure criminelle ou délictuelle, dont l’identification certaine s’avère nécessaire ; // 3° Les empreintes digitales et palmaires relevées sur les cadavres non identifiés et les personnes découvertes grièvement blessées dont l’identité n’a pu être établie, dans le cadre d’une enquête pour crime ou délit flagrant, d’une enquête préliminaire, d’une commission rogatoire, d’une enquête ou d’une information pour recherche des causes de la mort ou d’une enquête consécutive à la découverte d’une personne grièvement blessée, lorsque la cause de ses blessures est inconnue ou suspecte, (….) ; // 4° Les empreintes digitales et palmaires relevées dans les établissements pénitentiaires, en vue de s’assurer de manière certaine de l’identité des détenus qui font l’objet d’une procédure pour crime ou délit et d’établir les cas de récidive ; « 5° Les traces et les empreintes digitales et palmaires transmises par des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers en application d’engagements internationaux ; // 6° Les empreintes digitales et palmaires relevées en application des articles L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales et 87 du code civil et du décret n° 2012-125 du 30 janvier 2012 relatif à la procédure extrajudiciaire d’identification des personnes décédées ».
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Par ailleurs, la CNIL remarquait que « le projet de décret ne prévoit pas de disposition spécifique relative à la collecte et au traitement des données et empreintes des personnes mineures, alors même que le FAED est un traitement de police judiciaire qui contient des données biométriques, d’une particulière sensibilité. Interrogé sur les modalités de traitement de ces données, le ministère a précisé que, dans le cadre d’une procédure judiciaire diligentée à l’encontre d’un mineur, l’autorité judiciaire procède à une appréciation au cas par cas, ce qui constitue pour lui une modalité de traitement des données et des empreintes digitales adaptée aux caractéristiques de la délinquance des mineurs. La commission estime que ce pouvoir d’appréciation du procureur de la République, qui devrait prendre en compte plusieurs critères, comme par exemple l’âge du mineur au moment des faits, la gravité de l’infraction ou les éventuels antécédents judiciaires, et qui permet de garantir que les données relatives aux mineurs ne seront pas systématiquement enregistrées, devrait expressément apparaître dans le projet de décret ».
Le décret, tel que publié, prévoit ainsi que : « Les empreintes digitales et palmaires mentionnées au 2° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées durant quinze ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, durant dix ans. Toutefois lorsqu’elles ont été relevées dans le cadre d’une enquête relative soit à un crime, soit à un délit mentionné aux articles 706-47 ou 706-73 du code de procédure pénale, la durée de conservation est portée à vingt-cinq ans ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, à quinze ans ; (...) Les empreintes digitales et palmaires mentionnées au 4° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées durant quinze ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, durant dix ans. Toutefois lorsque la personne concernée est détenue dans le cadre d’une procédure relative soit à un crime, soit à un délit mentionné aux articles 706-47 ou 706-73 du code de procédure pénale, la durée de conservation est portée à vingt-cinq ans ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, à quinze ans ; ».
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L’entrée en vigueur du décret s’entend au « lendemain de sa publication » (sauf l’article 5 [4] qui lui, ne sera applicable qu’à compter du 1er mars 2017) [5].
[1] Ex. à l’art. 8 : « Les fonctionnaires et militaires individuellement désignés et habilités des services d’identité judiciaire de la police nationale, du service technique de recherches judiciaires et de documentation ainsi que des unités de recherches de la gendarmerie nationale peuvent seuls avoir accès aux données à caractère personnel et aux informations contenues dans le traitement : 1° Pour procéder aux opérations d’identification à la demande de l’autorité judiciaire, des officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, ou des agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en vertu des dispositions de l’article 28-1 du code de procédure pénale ; 2° Pour procéder aux opérations d’identification à la demande de l’autorité judiciaire, des fonctionnaires de la police ou des militaires de la gendarmerie dans le cadre des recherches aux fins d’identification des personnes décédées prévues aux articles L. 2223-42 du code général des collectivités territoriales et 87 du code civil et du décret n° 2012-125 du 30 janvier 2012 relatif à la procédure extrajudiciaire d’identification des personnes décédées ; 3° Pour procéder aux opérations d’identification à la demande des officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale en vertu des dispositions des articles L. 611-1-1, L. 611-3 et L. 611-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; 4° Pour procéder aux opérations d’identification à la demande des officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale en vertu des dispositions de l’article 78-3 du code de procédure pénale. »
[2] Et désormais l’article R. 40-38-1 du Code de procédure pénale dispose : « Le fichier automatisé des empreintes digitales est régi par le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 modifié relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l’intérieur. » La même formule est reproduite à l’article R. 611-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
[3] CNIL, délib. n° 2015-153 du 21 mai 2015 portant avis sur un projet de décret en Conseil d’Etat modifiant le décret n° 87-249 du 8 avril 1987 modifié relatif au fichier automatisé des empreintes digitales.
[4] Nouvel art. 5 : « Les traces, empreintes digitales et palmaires et les informations liées sont conservées suivant les durées maximales détaillées ci-dessous s’il n’a pas été préalablement procédé à leur effacement dans les conditions prévues aux articles 7, 7-1 et 7-2 du présent décret. 1° Les traces mentionnées au 1° de l’article 3 et les informations liées sont conservées pendant une durée maximale de quinze ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique. Toutefois, la durée de conservation est portée à vingt-cinq ans : a) Sur décision du procureur de la République ou, en cours d’information, du juge d’instruction ; ou b) Lorsque ces traces relatives à des personnes inconnues ont été relevées dans le cadre : - d’une enquête ou d’une instruction préparatoire relative soit à un crime, soit à un délit mentionné aux articles 706-47 ou 706-73 du code de procédure pénale ; ou - d’une enquête ou d’une information pour recherche des causes de la mort ou d’une disparition prévue par les articles 74, 74-1 et 80-4 du code de procédure pénale ; ou - d’une enquête consécutive à la découverte d’une personne grièvement blessée, lorsque la cause de ses blessures est inconnue ou suspecte, prévue par l’article 74 du code de procédure pénale ; // 2° Les empreintes digitales et palmaires mentionnées au 2° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées durant quinze ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, durant dix ans ; /Toutefois lorsqu’elles ont été relevées dans le cadre d’une enquête relative soit à un crime, soit à un délit mentionné aux articles 706-47 ou 706-73 du code de procédure pénale, la durée de conservation est portée à vingt-cinq ans ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, à quinze ans ; // 3° Les empreintes digitales et palmaires mentionnées au 3° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées pendant vingt-cinq ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique ; // 4° Les empreintes digitales et palmaires mentionnées au 4° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées durant quinze ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, durant dix ans ; / Toutefois lorsque la personne concernée est détenue dans le cadre d’une procédure relative soit à un crime, soit à un délit mentionné aux articles 706-47 ou 706-73 du code de procédure pénale, la durée de conservation est portée à vingt-cinq ans ou, si elles ont été relevées sur une personne mineure, à quinze ans ; // 5° Les traces et empreintes digitales et palmaires mentionnées au 5° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées durant vingt-cinq ans ou, si elles concernent une personne mineure, durant quinze ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique ; // 6° Les empreintes digitales et palmaires mentionnées au 6° de l’article 3 du présent décret et les informations liées sont conservées vingt-cinq ans à compter de leur date d’enregistrement dans le traitement. »
[5] Cependant, pour l’effacement des données enregistrées, voir les article 7-1 et 7-2 du décret qui d’une part signifie une obligation d’effacement pour le service gestionnaire du fichier dans certains cas et une possibilité de le demander suivant une procédure calibrée pour la personne ainsi fichée.