Le 1er mars 2017, par Geneviève Koubi,
C’est surtout à travers l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du 23 février 2017 que s’opère la lecture du texte de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique - qui n’a pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel et dont on peut supposer qu’elle sera l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité par la suite.
En effet, la CNCDH relève « le caractère foisonnant du texte de loi et la diversité des mesures qu’il contient » ; elle se trouve alors quelque peu démunie pour en saisir toutes les données remarquant ainsi que cet ensemble disparate ne lui permet pas « de se prononcer de manière exhaustive sur l’ensemble du texte, elle a donc choisi de ne se prononcer que sur les dispositions les plus symptomatiques de l’esprit du texte et des orientations politiques qu’il recèle, en particulier celles relatives à l’usage des armes (I), à la protection de l’identité des dépositaires de l’autorité publique (II) et à l’aggravation de la répression des délits visant les forces de l’ordre (III). La CNCDH se prononce également sur les mesures visant à créer une filière d’activité privée de sécurité armée (IV), à licencier les agents de certaines entreprises de transport dont le comportement serait incompatible avec leurs missions (V), sur les dispositions modifiant la loi relative à l’état d’urgence (VI) et celles visant à rétablir le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes (VII). Enfin, la CNCDH s’inquiète des nouvelles prérogatives octroyées aux personnels pénitentiaires en matière de renseignement (VIII) et des conditions du suivi des personnes condamnées après leur libération (IX). » Or, d’une certaine manière, la CNCDH s’est emparée de la plupart des saillies du texte législatif.
Les dispositions générales de cette loi s’avèrent plus que problématiques, notamment en tant qu’elles ouvrent largement le champ à de possibles « bavures » que les gouvernements seraient à même de couvrir, comme par exemple, pour ce qui concerne l’usage des armes par les « forces de l’ordre » [1] La formule sonne gravement. Peut-être aurait-il été moins connoté d’user de l’expression « forces de police », ce qui aurait permis d’exclure les modules d’une « force armée » intervenante [2] – même si, en l’occurrence, seule la gendarmerie se voit explicitement située [3]. La CNCDH observe sur ce point que, « si le texte incorpore les exigences fondamentales de nécessité absolue et de stricte proportionnalité (art. L. 435-1, al.1er), il le fait sans en énoncer le sens et la portée pour chacun des cas d’autorisation d’ouverture du feu. Or il est indispensable que les fonctionnaires sachent dans le « feu de l’action » ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. De ce point de vue, le texte ne donne pas aux règles applicables, loin s’en faut, la prévisibilité requise, ainsi que le Défenseur des droits l’a observé dans son avis [4] ». Effectivement, les cas signalés restent flous : atteintes ou menaces ou risques d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique portées contre eux (d’abord !) ou contre autrui (ensuite donc). La question des biens mobiliers ou immobiliers n’est pas signifiée, ce qui laisserait hors champ le caillassage des vitrines - alors même que c’est surtout lors de telles exactions que ces forces de l’ordre interviennent...
Par ailleurs, les techniques de renseignement sont de plus en plus « intrusives », les méthodes d’une « surveillance de masse » sont de plus en plus appliquées. Et parce que « le renseignement relève du code de procédure pénale ou du code la sécurité intérieure, la finalité assignée à la mise en œuvre des techniques de renseignement est très vague : "prévenir les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre des établissements" » [5], cette observation concerne donc surtout (mais, en même temps, aussi) les établissements pénitentiaires ainsi que le pointe la CNCDH [6].
On remarquera aussi que, malgré la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-611 QPC du 10 février 2017 [7], le « délit de consultation » de sites dits terroristes a été rétabli. Toutefois, l’idée d’un « motif légitime » de consultation de tels sites a été précisée. L’art. 421-2-5-2 du Code pénal dispose ainsi, du fait de la loi du 28 février 2017, que « le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service. / Constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la consultation résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s’accompagne d’un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes. »
Quoiqu’il en soit, il est indéniable que, sous la pression d’un état d’urgence [8] dont aurait pu être signifiée son inutilité au rythme des prorogations continuées [9], les prétextes fondés sur la ritournelle de la « sécurité » - publique ou intérieure – en arrivent à contrevenir au respect des droits de l’homme et au respect des libertés individuelles et collectives.
Or, la constance d’un discours répressif et la pénalisation de nombre d’actions revendicatives (par-delà les actions syndicales) ne dessinent pas les formes d’un climat serein propice à l’approfondissement d’une dynamique démocratique.
[1] V. Code de la sécurité intérieure, art. L. 435-1 : « Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l’article L. 211-9, faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée : 1° Lorsque des atteintes à la vie ou à l’intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d’autrui ; 2° Lorsque, après deux sommations faites à haute voix, ils ne peuvent défendre autrement les lieux qu’ils occupent ou les personnes qui leur sont confiées ; 3° Lorsque, immédiatement après deux sommations adressées à haute voix, ils ne peuvent contraindre à s’arrêter, autrement que par l’usage des armes, des personnes qui cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et qui sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ; 4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules, embarcations ou autres moyens de transport, dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ; 5° Dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont ils disposent au moment où ils font usage de leurs armes. »
[2] Les dérives policières et militaires actuelles en Turquie invitent à s’interroger sur les orientations que pourraient prendre de tels dispositifs...
[3] Code de la défense, art. L. 2338-3 : « Les militaires de la gendarmerie nationale peuvent faire usage de leurs armes dans les conditions prévues à l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure. Ils peuvent également faire usage de matériels appropriés pour immobiliser les moyens de transport dans les conditions prévues à l’article L. 214-2 du même code. / Les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du présent code peuvent faire usage de leurs armes et immobiliser les moyens de transport dans les mêmes conditions. / Les militaires chargés de la protection des installations militaires situées sur le territoire national peuvent faire usage de leurs armes dans les conditions prévues aux 1° à 4° de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. Ils peuvent également immobiliser les moyens de transport dans les conditions prévues à l’article L. 214-2 du même code. »
[4] Défenseur des droits, Avis n° 17-02 en date du 24 janvier 2017.
[5] Avis CNCDH 23 févr. 2017.
[6] : « … les techniques de renseignement auxquelles les services pénitentiaires pourront recourir dans le cadre de leurs missions courantes d’ordre et de sécurité sont ni plus ni moins celles mises à disposition des services de renseignement du « premier cercle » pour la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation. De plus, un décret du 16 janvier 2017, doté d’une portée plus étendue, puisqu’il concerne l’ensemble de la population sous main de justice (autrement dit également les personnes en « milieu ouvert »), prévoit le recours à de multiples autres techniques de renseignement au titre des finalités mentionnées aux 4° et 6° de l’article L. 811-3 (prévention du terrorisme et de la criminalité et de la délinquance organisées). »
[7] Laquelle relevait que, « 14. … s’agissant des exigences d’adaptation et de proportionnalité requises en matière d’atteinte à la liberté de communication, les dispositions contestées n’imposent pas que l’auteur de la consultation habituelle des services de communication au public en ligne concernés ait la volonté de commettre des actes terroristes ni même la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services. Ces dispositions répriment donc d’une peine de deux ans d’emprisonnement le simple fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, quelle que soit l’intention de l’auteur de la consultation, dès lors que cette consultation ne résulte pas de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, qu’elle n’intervient pas dans le cadre de recherches scientifiques ou qu’elle n’est pas réalisée afin de servir de preuve en justice. /15. Si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation effectuée de « bonne foi », les travaux parlementaires ne permettent pas de déterminer la portée que le législateur a entendu attribuer à cette exemption alors même que l’incrimination instituée, ainsi qu’il vient d’être rappelé, ne requiert pas que l’auteur des faits soit animé d’une intention terroriste. Dès lors, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l’usage d’internet pour rechercher des informations. /16. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L’article 421-2-5-2 du code pénal doit donc, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution. »
[8] V. L. n° 55-385 du 3 avr. 1955 relative à l’état d’urgence ; L. n° 2015-1501 du 20 nov. 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions ; L. n° 2016-162 du 19 févr. 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ; L. n° 2016-629 du 20 mai 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ; L. n° 2016-987 du 21 juill. 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
[9] V. Rapp. d’inf. n° 4281 sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence, du 6 décembre 2016.