Le 16 mai 2010, par Geneviève Koubi,
Un communiqué de presse du ministre de l’intérieur « relatif à l’organisation des "apéros géants" », en date du 14 mai 2010 fait état d’une circulaire du 16 avril 2010 portant instructions aux préfets pour réguler, autant que faire se peut, les "apéros géants" initiés par le biais du réseau social sur internet, facebook.
Cette circulaire, comme tant d’autres adressées aux préfets, n’est pas postée sur le site du Premier ministre "circulaires.gouv.fr". Elle n’est pas pour autant dépourvue de portée ’interne’, ni même d’effet pour ce qui concerne l’organisation spontanée de ces apéros qui se tiennent en soirée. La circulaire n’est pas placée sur le site officiel des circulaires alors même que sur le lien construit pour un accès au Bulletin officiel du ministère de l’intérieur sur le portail Legifrance renvoie à cette formule : « cette rubrique ne sera plus ni alimentée, ni mise à jour. Les circulaires du ministère de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales sont désormais publiées sur le site www.circulaires.gouv.fr. » Pourtant, le Conseil d’Etat avait, dans une décision du 16 avril 2010, M. Azelvandre, en quelque sorte, exposé la nécessité, plus que l’obligation, de publier les instructions ministérielles… discrètes sur circulaire.gouv.fr ; le Conseil d’Etat a ainsi estimé, en l’espèce que « l’instruction non publiée sur circulaire.gouv.fr n’est pas opposable ». Quelle est donc la teneur de ces instructions ? Dans quelle mesure seraient-elles opposables aux administrés, initiateurs plus qu’organisateurs de ces rencontres festives de masse, participants actifs ou passants enthousiastes, spectateurs ou acteurs, etc. [1] ?
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Connaître, imparfaitement, du fond de la circulaire du 16 avril 2010 [2] se fait par des voies détournées grâce à quelques formules glanées dans les journaux et à quelques données tirées du communiqué du 14 mai.
Il y est dit que « les maires ou les préfets peuvent interdire ou encadrer [3] sur leur commune ou dans leur département des manifestations de voie publique tels les "apéritifs géants" organisés par les réseaux sociaux ou tout autre.... » Dans cette circulaire du 16 avril 2010 dont les premiers destinataires sont les préfets, il serait aussi précisé « que les mesures d’interdiction ou de restriction doivent "être strictement proportionnées aux nécessités du maintien de l’ordre public". » [4]
Le communiqué du ministère rappelle les dispositions juridiques applicables en l’état actuel du droit ; il indique que, bien que prévus pour d’autres types de manifestations, les dispositifs de sécurité publique et de protection civile ont vocation à être adaptés aux circonstances ; il évoque également « la conduite opérationnelle à tenir compte tenu du public concerné et des circonstances propres à chaque événement ». Mais, comment se saisir de ces bribes d’informations ? Quoiqu’il en soit, le ministre relève que « les instructions ont permis de mobiliser les services publics compétents (police, gendarmerie, sécurité civile, services de santé) et, ainsi, de limiter les risques encourus par les participants à ces rassemblements festifs. » On peut présupposer que la Direction départementale de la protection/sécurité de la population est la principale intéressée en la matière [5].
Sans plus épiloguer sur cette circulaire non publiée, le communiqué annonce la tenue prochaine d’une « réunion de travail sur les "apéros géants" avec les représentants des ministères, les préfets et les maires principalement concernés ». Il n’en demeure pas moins que cette réunion est censée permettre une évaluation de « la mise en œuvre des instructions déjà données aux préfets, de préciser les mesures permettant de faire face à ce type d’événements "spontanés", de limiter les risques qu’ils font encourir notamment aux mineurs qui s’y rendent, et de coordonner la réponse des différents acteurs locaux. » La référence aux instructions déjà adressées aux préfets demanderait ainsi à ce que celles-ci soient connues.
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Le communiqué du 14 mai 2010 laisse entendre que dans cette circulaire il y a été rappelé que « toutes les manifestations sur la voie publique sont soumises à l’obligation de déclaration préalable auprès du préfet du département où est prévue la manifestation. La méconnaissance de ces dispositions expose à des sanctions pénales qui peuvent être aggravées en cas de mise en danger de la vie d’autrui. » Sont directement visés les "apéros géants", ces rassemblements risqués qui ont nécessité une mobilisation de « tous les services publics compétents » dans l’intention de surveiller, contrôler, le déroulement de ces « événements faussement spontanés ».
Ainsi, outre le respect des lois, chacun doit avoir conscience des risques inhérents à ces rassemblements "spontanés" [6]. Ces rassemblements festifs seraient potentiellement dangereux [7] : « • dangereux au plan de la sécurité : en l’absence d’un véritable encadrement par les initiateurs, la concentration de milliers de personnes comporte des risques graves : mouvements de foule, phénomènes de bandes violentes avec rixes, agressions gratuites, vols à la tire, violences contre les personnes... ; • dangereux, aussi, au plan de la santé : compte tenu de l’alcoolisation de ces événements, des comas éthyliques ont déjà été déplorés ; plusieurs hospitalisations pour des blessures plus ou moins graves sont déjà intervenues ».
« Face à ces risques, les pouvoirs publics appellent chacun à faire preuve de prudence, de raison et de responsabilité. » Les formules du communiqué reprennent le contenu d’une note du 14 mai 2010 destinée à attirer l’attention de chacun [8], intitulée : Les apéros géants sont des rassemblements festifs mais ce sont aussi des rassemblements risqués" ; l’organisation des "apéros géants" nécessite une vigilance particulière de la part des autorités compétentes en matière d’ordre public et demande à chacun, y participant ou non, d’agir en ’responsable’. Ces indications ne semblent pas retracer des "instructions" aux préfets.
Les appels à la raison sont agencées autour d’une notion de responsabilisation déguisée en responsabilité : il faut que • les initiateurs de ces "apéros géants" fassent« preuve de raison en n’incitant pas à participer à des manifestations non déclarées et donc illégales » [9] ; que • les parents fassent « preuve de la plus grande vigilance en mettant en garde leurs enfants, tout particulièrement lorsqu’ils sont mineurs, contre les risques qu’ils encourent à participer à de tels événements » [10] ; que • chaque personne prévoyant de se rendre à ces événements fasse « preuve de la plus grande prudence, quitte à reconsidérer sa participation à ces manifestations dont les débordements peuvent paralyser les services d’urgence ». • et, enfin, puisque comme toujours la question financière s’invite en tout domaine, les pouvoirs publics en appellent « à la responsabilité et au civisme de chacun face aux coûts qu’engendrent de tels rassemblements pour la collectivité publique et donc pour les contribuables (service de police et de gendarmerie, pompiers, SAMU et service d’urgence des hôpitaux,nettoyage des lieux...) » [11].
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Mais encore, la préfecture de police de Paris a ouvert le 6 mai 2010 son propre compte facebook [12] ; elle a adressé deux messages dont l’un vise un "apéro géant" prévu le 23 mai au Champ-de-Mars à Paris ; elle pointe les « "risques graves" d’un rassemblement non "organisé et encadré" » [13]...
Dès lors, parce que ’interdire’ n’est pas la solution, il faut "encadrer", en cadrer...
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[1] Ainsi, un "apéro" géant organisé via facebook à Troyes, ce 15 mai, a été interdit par le préfet de l’Aube.
[2] dont il est précisé dans un article posté sur lepoint.fr que l’AFP n’en a eu connaissance que le 14 mai.
[3] La distinction entre l’interdiction et l’encadrement de ces manifestations est substantielle.
[4] Source : article AFP précité sur lepoint.fr :« Les maires ou les préfets peuvent interdire les "apéritifs géants" ».
[5] A l’image des interdictions de Teknival — v. par ex. arr. préfect. Auvergne du 27 avril 2010. V. aussi, sur Legavox, « Apéros géants Facebook : Qui est responsable ? ».
[6] Ce qui dérange le plus semble être « l’absence d’organisateurs identifiés, le nombre élevé des participants et l’incitation à la consommation d’alcool ».
[7] ... focalisant l’attention sur le drame de Nantes où un jeune homme est mort et oubliant qu’à Montpellier, le même soir du 13 mai 2010, le rassemblement a eu lieu sans accident majeur.
[8] ... proposée en téléchargement sur la page correspondante du site web ministère.
[9] ce qui est nier la qualité variable de ces parties lancées sur facebook.
[10] Sans au moins pour cela menacer de les priver des allocations dont ils seraient bénéficiaires, taxant donc les plus pauvres sans que les riches se sentissent concernés...
[11] On aimerait que ceci soit aussi demandé à d’autres, bien plus dépensiers, en d’autres circonstances qui forment aussi des rassemblements, mais d’encadrement organisé parce que savamment policé...
[12] Elle comptera attentivement le nombre de ses amis...
[13] Source : Les dernières nouvelles d’Alsace, 14 mai 2010 : « Apéros géants : après le drame, une réunion gouvernementale, d’autres apéros prévus ».