Le 14 juin 2019, par Geneviève Koubi,
La circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en œuvre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État annonce les jeux par lesquels toute la problématique envisagée par les instances de pouvoir exécutif est de faire en sorte que l’État se désinvestisse des champs essentiels de la vie sociale : les services publics.
Elle confirme les instructions de la circulaire n° 6030/SG du 24 juillet 2018 relative à la déconcentration et à la réorganisation des administrations centrales consistant à « transférer le maximum de processus décisionnels de ’moindre importance’ aux administrations déconcentrées, au niveau territorial. » [1]
Quelques indications insérées dans cette circulaire du 12 juin 2019 augurent de ce modèle, notamment en matière économique puisque « l’intervention de l’État sera recentrée sur l’accompagnement des entreprises en difficulté, ainsi que sur le suivi des filières stratégiques, des politiques d’innovation et de transformation numérique. ». Elle pourrait aussi être décelée en matière culturelle quand il s’agit du « soutien aux industries culturelles ».
Mais ce serait aussi en tenant compte de l’interrogation sur « la façon dont l’État et les collectivités doivent contractualiser sur les compétences sociales » que cette tendance serait relevée. Charger à chaque fois un peu plus la barque des collectivités territoriales se réalise en omettant les implications du principe constitutionnel de la libre administration de ces collectivités, dans le but d’enserrer leurs activités et leurs actions dans le schéma de la déconcentration au titre de l’aménagement du territoire - thème qui relève de l’État central. La recherche d’un amoindrissement de tout type de contre-pouvoirs est authentifiée...
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L’objectif de la « clarification des compétences » au sein de l’État conduit d’abord à faire des autorités déconcentrées le réceptacle des tâches dont l’État central voudrait se décharger. C’est le cas, par exemple, en transférant les formations dans les secteurs « animation jeunesse » [2], « sport » [3], et « cohésion sociale » [4] à l’éducation nationale et à l’enseignement supérieur… Il n’en demeure pas moins que dans le cadre d’un État qui voudrait verdir ses perspectives, envisager se préoccuper de la « biodiversité », « en supprimant, en simplifiant ou en transférant aux fédérations de chasse certaines compétences relatives à l’approbation des plans de chasse et au suivi des associations locales de chasseurs », paraît assez contradictoire.
Certes, la préoccupation d’un verdissement des politiques engagées est exposée dans un paragraphe spécifique (le § V) relatif aux « plateformes de gestion en matière de politique de l’eau, du traitement de l’habitat insalubre et indigne et de politique de l’environnement. » Or, là encore, l’assemblage de ces thématiques d’une part ne rend nullement compte du projet de « désenchevêtrement » des compétences annoncé, d’autre part n’engage guère en matière d’environnement. De plus, par une rhétorique particulière qui s’attache plus aux acteurs économiques qu’aux populations, il implique une articulation prononcée d’une relégation des problématiques fondamentalement sociales : droit à l’eau potable, droit à un logement décent, droit à un environnement sain, droit à des moyens convenables d’existence..
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La réorganisation du réseau déconcentré de l’État suppose par ailleurs une accentuation marquée de l’obligation de loyalisme des préfets.
Ce sont les préfets de département qui se retrouvent en première ligne pour « exercer les missions prioritaires du Gouvernement », concrètement donc : « C’est à l’échelon départemental que doivent être mises en œuvre les politiques de l’État. C’est cet échelon qui sera privilégié dans la répartition des effectifs, le niveau régional devant rester celui de l’impulsion, de l’évaluation des politiques publiques et de la coordination. » Les actions de coordination se comprendront ainsi en relation directe avec le préfet de région « garant de la cohérence de l’action de l’État ». Le rôle du préfet de département se trouvera alors consolidé, ce dernier « étant chargé de veiller à la coordination territoriale des réorganisations (des services publics) envisagées. »
Cette dynamique demeure encadrée dans l’objectif de « la mutualisation des moyens [5] et de la « coopération interdépartementale » [6]. Cette intention est particulièrement nette : « Afin de mutualiser les compétences, des rapprochements d’unités départementales communes à plusieurs départements d’une même région ou de régions limitrophes, seront mis en place. Ces rapprochements porteront sur des missions précisément identifiées à l’échelon local dont le périmètre n’a donc pas vocation à être identique sur tout le territoire national. Ils seront arrêtés sous la coordination régionale en associant étroitement les préfets de département et les directeurs des services concernés et en veillant à un dialogue social adapté ».
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La nouveauté affichée n’en est pas une ; l’affirmation selon laquelle il faudrait créer « le service public de l’insertion » demeure ambiguë en ce qu’elle agrège des questions qui ne se rejoignent pas nécessairement telles l’hébergement d’urgence, le logement, l’accueil des migrants, la politique de la ville et la lutte contre la pauvreté.
Cet amalgame induit des fusions entre différents services [7] qui négligent les représentations d’une humanisation des administrations révélées à travers le projet de « rendre le service au plus près des usagers » et « renforcer les guichets d’accueil de proximité ».
Une certaine inquiétude peut alors légitimement survenir dans la mesure où est prévue la « création d’un comité interministériel régional des transformations des services publics ».
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Après la transformation de la fonction publique, s’annonce donc la transformation du service public. Si cette transformation des services publics provoquera nécessairement des modifications dans la situation professionnelle des agents publics [8]
Par delà l’amplitude de la contractualisation inscrite dans le projet de loi de transformation de la fonction publique en passe d’être définitivement adopté [9], se profile le risque d’une décomposition du principe de continuité du service public à l’aune de la précarisation organisée dans le cadre des fonctions publiques… Un tel comité ne disposerait pourtant que de peu de pouvoirs, la décision dépendant en final des positions du préfet : « Dans les cas où les projets de réorganisation ne feraient pas l’objet d’un consensus parmi les membres du comité interministériel régional des transformations des services publics, le préfet de région m’adressera un rapport aux fins de décision. »
Un renvoi à la circulaire n° 6029/SG du 24 juillet 2018 relative à l’organisation territoriale des services publics doit être opéré. Le paragraphe 2 de cette circulaire annonçait déjà l’objectif [10] : « renforcer la cohérence et l’efficacité de l’intervention de l’État sur le territoire en clarifiant les missions exercées au niveau territorial ». Une comparaison rapide entre les deux circulaires, celle du 12 juin 2019 et celle du 24 juillet 2018 ( n° 6029/SG) permet de relever que les avancées en ces matières sont minimes… sauf en ce que l’État qui avait alors affirmé conserver quelques périmètres d’action les délèguent peu à peu...
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Néanmoins, en tous domaines, « les propositions d’organisation n’ont pas vocation à s’inscrire dans un cadre uniforme. Elles doivent au contraire permettre de répondre, grâce à des solutions différenciées en fonction des réalités et spécificités locales, aux besoins particuliers (...) identifiés ». Les déséquilibres territoriaux n’en seront-ils pas intensifiés ?
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En en un clin d’œil critique, cette circulaire s’insère en quelque sorte dans le jeu annoncé par la circulaire du 5 juin 2019 relative à la transformation des administrations centrales et aux nouvelles méthodes de travail en ce que elle est effectivement « centré(e) sur l’objectif d’améliorer l’accompagnement et le suivi de l’exécution des réformes et des transformations de l’action publique. » [11]
[1] V. Gk, « Déconcentration administrative et désinvestissements de l’État en matière de services publics », 27 juill. 2018.
[2] L’orientation dessinée est de « recentrer les missions Sport, Jeunesse et Vie associative, (de) les rapprocher de l’Éducation nationale et de préparer la mise en œuvre du service national universel (SNU). »
[3] Ce, « en étudiant la possibilité d’externaliser l’homologation des installations sportives »...
[4] Ce, en jouant sur les liaisons entre secteur social et domaine sanitaire et paramédical.
[5] Ce, « en matière budgétaire », « en matière de fonctions support » et « en matière immobilière ».
[6] Ainsi, deux modules sont signalés : « opérer un traitement administratif mutualisé de certaines procédures au sein de plateformes interdépartementales » et « création de pôles de compétences multidépartementaux qui concourent à renforcer la qualité du service rendu grâce au partage d’expertise, particulièrement nécessaire lorsqu’il s’agit de faire appel à des compétences rares. »
[7] Ex. : « Au niveau régional, en regroupant dans une entité unique les DIRECCTE et les DRJSCS » ; « Au niveau départemental, en regroupant les compétences en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion des DDCS et des DRDJSCS, avec les compétences des unités départementales des DIRECCTE, dans un nouveau réseau, celui des Directions départementales en charge de l’insertion, de la cohésion sociale, du travail et de l’emploi (leur nom fera l’objet d’une décision prochaine des ministres en charge, après consultation du réseau). »
[8] Pour les rassurer, el Premier ministre, « confirme que des mesures d’accompagnement sont prévues pour les agents dont la situation sera modifiée au titre de l’évolution de leurs missions ou de l’organisation au sein desquels ils exercent. Un dispositif adapté à chaque situation sera mis en place à leur intention en matière de formation, de reclassement et de mobilité ou d’accompagnement dans le cadre d’une transition professionnelle. Les modalités de ce dispositif vous seront précisées prochainement par circulaire séparée. »
[9] Le projet de loi sera examiné en séance publique au Sénat à partir du 18 juin 2019. V. ainsi, « Réforme de la fonction publique : quelle est la version du Sénat ? », 12 juin 2019.
[10] ... réitéré dans la circulaire du 12 juin 2019.
[11] V. GK, « La circulaire administrative, un ’outil’ de qualité politique », 6 juin 2019.