Le 29 juillet 2009, par Geneviève Koubi,
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Compris comme une « démarche d’anticipation », le plan de lutte contre la pandémie grippale pourrait être activé et porté au ‘niveau 6’ en France dès la rentrée de septembre.
Ce niveau 6, c’est celui du dernier grade du plan national contre la pandémie grippale [1]. Ce niveau d’alerte suppose l’application d’une série de mesures, suivant une échelle particulière qui varie entre strictes recommandations et rigoureuses obligations. Chacune des mesures prévisibles, prévues, urgentes, sera prise au fur et à mesure de l’évolution de la situation pandémique, selon la virulence du virus ou au regard des risques encourus par les entreprises et par la population ; elle devra être préalablement examinée par une cellule de veille et de crise interministérielle [2]… La question cruciale n’est pas celle de la décision mais celle du mode de communication choisi, c’est-à-dire quant à la diffusion des mesures décidées auprès des populations comme auprès des principales catégories d’activités concernées.
La mise en application du niveau 6 de ce plan de lutte contre la grippe AH1N1 suppose d’ores et déjà : la fermeture des lieux collectifs dont les écoles ; les restrictions aux déplacements notamment par les transports collectifs ; l’interruption des activités culturelles (cinéma, théâtre, exposition, musée) ; l’annulation des rencontres (sportives) ; le droit de visite dans les maisons de retraite, les prisons, les hôpitaux limité… etc. Au plus fort d’une pandémie, les arrivées et départs internationaux de passagers pourraient être interrompus et les services funéraires devraient effectuer la mise en bière immédiate des morts.
Pour autant, l’une des principales préoccupations des pouvoirs publics est de préserver la continuité de la vie sociale et économique. De fait, ainsi que le signale la circulaire du 20 février 2009, « la continuité de la vie du pays implique la continuité de l’action de l’Etat et du maintien de l’ordre public. Elle implique également la poursuite aussi normale que possible de la vie sociale et de l’activité économique ». La plupart des textes administratifs produits sur ce thème rend compte de ce souci : « L’objectif à atteindre est celui de la “résilience”, définie comme la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une catastrophe majeure, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement. Pour atteindre cet objectif en assurant la sécurité économique, il importe de prendre les mesures garantissant la continuité de l’activité économique lors de la pandémie et, plus largement, de continuer à assurer la protection des intérêts économiques de la nation » [3].
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La circulaire DGT 2009/15 du 26 juin 2009 relative au rôle des acteurs de la santé au travail en cas de pandémie grippale met en première ligne les médecins du travail dans leur rôle d’information des entreprises. Cependant, cette seule perspective ne peut suffire.
Une autre circulaire, la circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009 relative à la pandémie grippale complète, elle aussi, la circulaire (modifiée) DGT 2007/18 du 18 décembre 2007 relative à la continuité des activités des entreprises et aux conditions de travail et d’emploi des salariés du secteur privé en cas de pandémie grippale. La circulaire du 3 juillet 2009 rappelle qu’en la matière, le plan national de lutte contre la pandémie grippale ne se présente pas comme un programme ou un catalogue de mesures à prendre ou à éviter mais essentiellement comme un “outil d’aide à la décision” : « Ce plan est un outil opérationnel d’aide à la décision, fondé sur des mesures normées que les autorités peuvent décider d’appliquer ou non en fonction de chaque situation concrète rencontrée. En examinant l’opportunité de prendre chacune de ces mesures, le décideur doit avoir présent à l’esprit que l’efficacité de la plupart d’entre elles est conditionnée par une bonne anticipation et par la précocité et la rigueur de leur mise en œuvre » [4].
Bien que l’objet de ces deux circulaires renvoie au secteur privé, les problématiques envisagées sont d’ordre “intersectoriel” ; elles engagent donc également les administrations et les services publics. Les activités dites ’d’importance vitale’ et autres services essentiels « ne pouvant être interrompus en temps de pandémie » ont été mentionnés dans la circulaire du 20 février 2009 : santé, alimentation, communications électroniques, fourniture d’énergie, information du public, transports nécessaires, circulation des liquidités et maintien des moyens de paiement, gestion de l’eau, élimination des déchets…
De plus, outre le fait que les entreprises devront faire face à un ‘absentéisme’ justifié tant par la maladie que par les limites posées aux déplacements, les activités de service public (notamment formation, énergie, communications, transports) pourraient être sérieusement perturbées. C’est alors que l’appel à un usage intensif des technologies de pointe est lancé [5]. Sont évoqués le travail à distance, le télétravail, la télémédecine [6], les téléconférences, etc. La répétition du préfixe « télé » permet de signifier que ce qui est essentiellement visé est un ensemble de ‘procédures’ et de ‘procédés’ [7]…
Lors de pandémie grippale, les outils informatiques, les communications électroniques, les connaissances numériques peuvent effectivement jouer un rôle substantiel, au risque toutefois que l’expérience conduise les pouvoirs publics à en prolonger les applications dans une configuration redevenue ‘normale’.
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Néanmoins, au-delà des hiérarchisations à venir des services et activités devant être préservés ou maintenus, pour la réalisation pratique des activités de service public qui seraient en cause, il faudrait relever, comme dans le cadre de toute entreprise privée, que c’est à l’employeur public ou privé de fournir à ses agents les équipements-support du travail à effectuer ‘chez soi’ (à partir de son domicile privé), c’est à l’employeur d’installer au lieu de confinement du travailleur les machineries nécessaires (ordinateurs et connexions), c’est à l’employeur d’assurer l’entretien et la maintenance des matériels mis à la disposition de l’agent sur lequel repose un des segments de la continuité administrative.
Nul n’est obligé de détenir un ordinateur avec les logiciels adéquats, nul n’est obligé de se doter d’une connexion internet à haut débit, etc. Aussi, doit-on penser que si l’agent utilisait son propre équipement, ce serait à l’employeur de s’assurer de sa compatibilité avec les missions à réaliser, ce serait encore à l’employeur d’adapter les fonctionnalités de cet équipement avec les tâches à remplir par l’agent. Il serait, en effet, contraire tant au droit du travail qu’au droit des fonctions publiques d’imposer à chaque agent de s’équiper en ordinateurs ou calculateurs particuliers…
Mais surtout, il serait fondamentalement contraire aux principes de droit que de permettre à certains agents de se connecter à partir de leur propre machine sur des serveurs spécifiques de l’administration, — comme pourraient l’être ceux relatifs aux fichiers comportant des données personnelles. Tant de problèmes pourraient alors surgir au prétexte d’une application décousue d’un plan de lutte contre la pandémie grippale !
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Il n’en demeure pas moins que les stratégies de santé publique revues à travers la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires s’avèrent plus problématiques qu’auparavant, la suppression de nombre de lieux d’accueil de premiers soins et de divers services hospitaliers aggravant le risque de retard dans la prise en charge des malades et donc, de dissémination du virus de la grippe AH1N1.
Ainsi, comme un remaniement sémantique de la notion de ‘réquisition’ des personnels, l’idée d’un corps de réserve sanitaire, exposée en annexe à la circulaire n° 2009/15 précitée, prend racine : « en cas de pandémie, le préfet du département peut faire appel en renfort à des médecins du travail inscrits dans un corps de réserve sanitaire ». En écho à ce dispositif, l’article L. 6112-2 du Code de la santé publique issu de la loi du 21 juillet 2009 (qui prévoit que, « outre les établissements de santé, peuvent être chargés d’assurer ou de contribuer à assurer, en fonction des besoins de la population, les missions de service public », les centres de santé, les maisons de santé, les pôles de santé, le service de santé des armées, les groupements de coopération sanitaire, les praticiens exerçant dans ces établissements ou structures »), donne au directeur général de l’agence régionale de santé un pouvoir à peu près équivalent : « Lorsqu’une mission de service public n’est pas assurée sur un territoire de santé, le directeur général de l’agence régionale de santé, sans préjudice des compétences réservées par la loi à d’autres autorités administratives, désigne la ou les personnes qui en sont chargées »...
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Toutefois, plus que sur une conscience de l’intérêt général par les décideurs, c’est surtout sur la responsabilisation personnelle des citoyens que la lutte contre la pandémie grippale reposerait [8].
Ainsi, le port du masque (masque anti-projection [9]) serait rendu obligatoire pour tous dans tous les espaces publics. Quand bien même la vaccination généralisée pourrait être décidée, chacun serait invité à s’ausculter lui-même, à poser seul son diagnostic (voire avec l’assistance de la télémédecine, à condition que les prestations correspondantes soient gratuites ou remboursées).
Par ailleurs, parce qu’il sera nécessaire de compenser les suppressions de postes qui ont été décidées, parce que les recrutements en ce domaine clef d’un service public substantiel se sont raréfiés sous la bannière de la RGPP, il est envisagé de mobiliser « les personnes guéries ou immunisées … pour aider à la prise en charge des malades ». La participation active de la population à la ’solidarité familiale et de voisinage’ avait déjà été mise en valeur dans la circulaire du 20 février 2009 (aide aux personnes isolées, garde des enfants par "des étudiants libérés par la fermeture des établissements d’enseignement supérieur", etc.). Devoir à chaque fois le réitérer n’est-il pas l’indice d’une déperdition du sens civique ?…
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La rentrée ne sera pas une partie facile à jouer !
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[1] Le Plan national de prévention et de lutte "Pandémie grippale" a été remanié et actualisé dans une longue circulaire n° 150/SGDN/PSE/PPS du 20 février 2009.
[2] Cette cellule est dite de ’continuité économique’ dans la circulaire portant plan national de prévention et de lutte de février 2009.
[3] Circ. 20 févr. 2009.
[4] NB : ces circulaires ont été indexées sur le site circulaires.gouv.fr.
[5] Les différentes configurations dans lesquelles se trouverait un salarié d’une entreprise privée sont détaillées dans la circulaire du 3 juillet 2009. V. aussi, les indications sur le site interministériel traitant des menaces pandémiques grippales.
[6] Prévue à l’article 78 de loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital… : « La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient. / Elle permet d’établir un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients. / La définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en œuvre et de prise en charge financière sont fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l’offre de soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique… » (art. L. 6316-1 Code de la santé publique).
[7] Jusqu’alors cette incitation au développement des moyens numériques pour assurer une activité donnée était surtout convoquée dans le cadre de l’éducation (écoles rurales numériques, par exemple) et notamment des universités, principalement, dans le but de contribuer à la réduction des personnels enseignants : puisque les établissements scolaires seront fermés sur tout le territoire, l’enseignement devra être assuré par ‘vidéo’.
[8] V. les recommandations quant aux conduites sociales et personnelles sur le site pandémie-grippale.gouv.fr … où l’on relève, entre autres conseils, qu’il est nécessaire « d’éviter tous les contacts directs entre personnes, tels que les embrassades, les poignées de mains et les caresses sur le visage ». Il est même plus ou moins préconisé de « faire des stocks de nourriture » notamment pour limiter les sorties.
[9] Le masque de protection est celui que doit absolument porter le personnel soignant. Le masque de protection devrait aussi concerner d’autres secteurs professionnels (déchets notamment).