Le 28 décembre 2013, par Geneviève Koubi,
Le projet de loi relatif à la géolocalisation consolide la stratégie de la surveillance généralisée des individus sur le territoire de la République. Si la justification de ce texte est de « mettre le droit français en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt Uzun c/ Allemagne du 2 septembre 2010 ainsi que la Cour de cassation dans ses arrêts du 22 octobre 2013 [1] », comme l’indique le communiqué de presse du Conseil des ministres du 23 décembre 2013, introduire la technique de la géolocalisation dans le Code de procédure pénale (CPP) - et le Code des douanes - contribue à sa banalisation prochaine. Bien que limitée à certaines situations, la géolocalisation qui est signalée dans ce communiqué comme englobant « toutes les techniques permettant de localiser en continu un téléphone portable ou un objet comme un véhicule, sur lequel une balise a préalablement été posée », est en passe de s’étendre à bien d’autres cas.
Le projet de loi relatif à la géolocalisation évoque ainsi « les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à trois ans ». Mais la géolocalisation serait aussi envisagée pour soutenir les procédures prévues à l’occasion de la découverte d’un cadavre, qu’il s’agisse ou non d’une mort violente, notamment si la cause en est inconnue ou suspecte [2] ou encore de la disparition d’un mineur ou d’un majeur protégé [3] et, de la même manière, pour contribuer aux recherches de personnes en fuite [4] (proj. art. 230-32 CPP). Elle pourrait tout autant l’être "en cas d’urgence" lorsqu’un "risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens" surviendrait (proj. art. 230-35 CPP).
Du fait de la rédaction projetée de l’article 230-32 CPP, une distinction devrait alors être opérée entre les "nécessités" et les "exigences". De plus, une confusion entre les moyens techniques évoqués en ressort, la question de la géolocalisation rejoignant parfois celle des interceptions des communications [5] ; cependant, la géolocalisation réalisée "à partir de données obtenues auprès des opérateurs de communications électroniques" n’obéit pas aux mêmes procédés et procédures [6]. Par ailleurs, comme les renvois effectués aux articles concernant les perquisitions sont nombreux, ils dessineraient en quelque sorte le régime juridique des géolocalisations.
La définition proposée de la géolocalisation concentre l’interrogation. Elle est présentée comme « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne à l’insu de celle ci, d’un véhicule ou de tout autre objet sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur ». Si on ne parle pas encore de puces glissées sous la peau, il apparaît utile de s’interroger sur les procédés techniques applicables aux personnes, à moins de considérer qu’un objet quelconque resterait indéfectiblement lié à la personne... Quoiqu’il en soit, ce matériel technique peut ainsi « être mis en place par l’officier de police judiciaire, ou sous sa responsabilité par l’agent de police judiciaire, ou prescrit sur réquisitions de l’officier de police judiciaire... » (proj. art. 230-32 CPP).
Certes, ces méthodes ne sont ’autorisées’ par le procureur de la République qu’en certains cas et dans un temps limité à quinze jours, puis par le juge des libertés et de la détention si le maintien de ce procédé semble indispensable alors même qu’il n’aurait pas fait ses preuves durant ces deux semaines [7]. Les situations visées s’entendent « 1° Dans le cadre d’une enquête de flagrance, d’une enquête préliminaire ou d’une procédure prévue par les articles 74 à 74-2 (...) ; 2° Dans le cadre d’une instruction ou d’une information pour recherche des causes de la mort ou des causes de la disparition mentionnées aux articles 74, 74-1 et 80-4 (...) » (proj. art. 230-33). Toutefois, le risque de détournement de procédure n’est pas totalement exclu, puisque « le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision de ce magistrat ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. » (proj. art. 230-37 al. 2).
Comme l’installation des dispositifs techniques n’apparaît pas toujours aisée, l’idée étant bien de la réaliser "à l’insu de la personne", une autorisation est parfois nécessaire pour y parvenir. Il y aurait alors, parfois, une double détente : une autorisation pour décider de la mise en surveillance par géolocalisation, une autorisation pour installer le procédé technique correspondant et permettant donc cette surveillance. Ainsi, la pose du ’moyen technique’ peut avoir lieu à tout moment, et même avant 6 heures et après 21 heures, « dans des lieux privés destinés ou utilisés à l’entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l’occupant des lieux ou du véhicule, ou de toute personne titulaire d’un droit sur ceux-ci. » Cependant, les quelques garanties insérées dans le Code de procédure pénale ne peuvent être d’un seul trait écartées. Aussi quelques nuances interfèrent : la mise en place du moyen technique mentionné à l’article 230-32 ne peut concerner sans précautions et procédures strictes « les lieux visés aux articles 56-1 [8], 56-2 [9] et 56-3 [10] ou le bureau ou le domicile des personnes visées à l’article 100-7 [11] » (proj. art. 230-34).
Ces procédés techniques que permettent les enquêtes comme la répression de certaines formes de délinquance ou de criminalité, ont été utilisés sans discernement. L’encadrement dont ils feraient l’objet désormais, si le projet de loi aboutissait, ne répond pas vraiment à la question soulevée par la Cour de cassation. Car si le contrôle du juge se limite à la distribution des autorisations, l’atteinte à la vie privée subsiste... La géolocalisation présuppose la réalisation de l’infraction et la désignation de son auteur, soit ce serait avant même qu’un jugement soit intervenu... et dans ce cas, les discours qui serinent des rappels au respect de la présomption d’innocence ont tout faux ; soit ce serait après qu’un jugement soit intervenu... et dans ce cas, si la personne n’est pas en détention préventive, s’il ne s’agit pas d’une personne en fuite, d’une personne recherchée à un titre ou un autre, ce seraient les proches (familles, amis, fréquentations - et non nécessairement complices -) de cette personne qui se trouveraient dotées, à leur insu, de ces moyens techniques. En effet, ce sont bel et bien les investigations et les enquêtes qui justifieraient la pose de ces puces, balises, etc. "sous réserve que l’infraction soit passible d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement" (sauf urgence).
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La protection des libertés publiques et des droits de la défense reste bien ténue face aux moyens offerts "aux services d’enquête un cadre juridique sécurisé et adapté aux spécificités de leurs missions de constatation et d’élucidation des infractions", comme le vante le communiqué du 23 décembre 2013.
[1] Ces arrêts ont permis de signifier que "le recours à la géolocalisation en temps réel lors d’une procédure judiciaire constitue une ingérence dans la vie privée". Ce que le communiqué du Conseil des ministres du 23 décembre 2013 comme l’exposé des motifs du projet de loi rappellent.
[2] cf. art. 74 CPP.
[3] cf. art. 74-1 CPP.
[4] C’est-à-dire : "Personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention, la chambre de l’instruction ou son président ou le président de la cour d’assises, alors qu’elle est renvoyée devant une juridiction de jugement ; Personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par une juridiction de jugement ou par le juge de l’application des peines ; Personne condamnée à une peine privative de liberté sans sursis supérieure ou égale à un an, lorsque cette condamnation est exécutoire ou passée en force de chose jugée" - cf. art. 74-2 CPP.
[5] Comment appréhender la mention de l’article 80-4 et le renvoi dans l’article 230-34 du projet à l’article 100-7 CPP ?
[6] cf. proj. art. 230-38.
[7] Étant précisé que : « La décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction est écrite. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours ».
[8] Ce qui concerne le cabinet d’un avocat ou son domicile.
[9] Tels "les locaux d’une entreprise de presse, d’une entreprise de communication audiovisuelle, d’une entreprise de communication au public en ligne, d’une agence de presse, les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou au domicile d’un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle"
[10] Ce qui intéresse le cabinet d’un médecin, d’un notaire ou d’un huissier.
[11] Art. 100-7 CPP : « Aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction. / Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d’instruction. / Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d’un magistrat ou de son domicile sans que le premier président ou le procureur général de la juridiction où il réside en soit informé. / Les formalités prévues par le présent article sont prescrites à peine de nullité. »