Le 18 mai 2014, par Geneviève Koubi,
La simplification du droit, la révision des codes, la modernisation du système juridique ne sont pas une œuvre simple. Elles s’avèrent d’autant plus complexes à réaliser que la méthode utilisée en la matière se voit de plus en plus contestée. La simplification du droit par ordonnances (de l’article 38 de la Constitution) ne semble plus devoir être acceptée sans réticences ... de la part des parlementaires, députés et sénateurs.
Par exemple, le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures comporte plusieurs articles ayant pour objet de permettre au Gouvernement de prendre par ordonnances des mesures relevant du domaine de la loi, notamment dans les domaines du droit civil... [1] Le débat sur ce projet de loi n’a pas été des plus disciplinés [2]. Les discussions ont conduit au soulignement de quelques crispations à l’encontre de cette tendance répétée au dessaisissement du Parlement de ses propres compétences. L’étrécissement du domaine de la loi qui en résulte, en dépit des procédés d’habilitation et de ratification, ne devrait-il pas être freiné ?
Le rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de ce projet de loi [3] délivre quelques-uns des hiatus qui ont disjoints les deux assemblées parlementaires, le Sénat s’entêtant à vouloir que « la réforme passe par une loi », l’Assemblée nationale s’empêtrant, elle, dans les attentes gouvernementales.
En effet, alors que le Gouvernement demande une habilitation pour légiférer par voie d’ordonnances, des « divergences d’appréciation qui empêchent tout accord global sur le texte » sont apparues. Si une réforme d’ampleur est nécessaire en matière de droit des obligations et des contrats, « le Sénat souhaite mener un véritable travail législatif » tandis que l’Assemblée nationale estime devoir éviter « une très lourde charge de travail », le temps pour la réaliser semblant trop bref, ce d’autant plus que « nous voici (déjà) au milieu d’un quinquennat » (C. Capdevielle). Les atermoiements à ce propos s’intensifient jusqu’à ce que soit acté le constat d’échec de la commission mixte paritaire. Certes, au-delà de la difficulté à admettre que des réformes d’ampleur puissent être déléguées au gouvernement, la ratification d’une ordonnance assurant d’un masque législatif à un texte réglementaire, on peut aussi penser que « la situation tient pour partie à la procédure accélérée, qui a rendu le dialogue entre (les) deux assemblées quasiment impossible » (J.-J. Hyest).
Les processus de modernisation risqueraient de s’éterniser... sans ce passage en force.
Parmi les différentes ordonnances prévues par ce projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, c’est celle relative à la réforme du droit des contrats qui focalise l’attention. Pourtant, assure l’une, cette réforme « a été longuement mûrie : des universitaires, des professeurs de droit (...) y ont travaillé, tout comme la chancellerie et de nombreux parlementaires ». De fait, « la jurisprudence adapte le code civil aux mutations de notre société, de sorte que le droit des contrats se trouve dans le Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (...) Cela met en cause la lisibilité de notre droit ainsi que la sécurité juridique. Des pans entiers du droit des contrats, ainsi la période précontractuelle, ne sont pas traités par le code civil. » (C. Capdevielle).
Mais, contenue dans l’article 3 du projet, la disposition qui offrirait au Gouvernement la possibilité de poursuivre son œuvre de simplification par voie d’ordonnances en la matière, suivant une vision administrative et politique [4], ne devrait-elle pas être isolée de l’ensemble ? Les autres dispositifs ne mériteraient-ils pas aussi une prise en considération ? Car, d’une certaine manière, des discussions pourraient encore améliorer l’ensemble, aussi remarque l’autre, « il serait dommage que l’article 3, quoique très important, obère les autres dispositions du projet que l’Assemblée nationale a enrichi... » (T. M. Soilihi).
Cette disposition relève donc de l’article 3 du projet de loi. Effectivement, elle n’est pas sans soulever des interrogations persistantes tant elle dépasse les enjeux d’une simplification du droit et, peut-être même, ceux d’une modernisation du droit des contrats. L’article 3 du projet de loi ouvre un champ étendu ; il introduirait une réforme d’ampleur dans ce domaine [5]. En quelque sorte, cet article 3, à propos duquel les députés et les sénateurs ne parviennent pas à s’accorder, se révèle presque trop détaillé.
Il disposerait : « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil, afin de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme et, à cette fin : /1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d’offre et d’acceptation de contrat, notamment s’agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ; /2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ; /3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ; /4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ; /5° Clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d’adhésion ; /6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ; /7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ; / 8° Regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat et introduire la possibilité d’une résolution unilatérale par notification ; /9° Moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ; /10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l’obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d’extinction de l’obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ; /11° Regrouper l’ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d’obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d’anéantissement du contrat ; /12° Clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve ; /13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12°. »
Certes, d’autres questionnements interfèrent. Ils nécessitaient peut-être un recommencement des débats. Ainsi, « par exemple, l’amendement sur le statut des animaux est apparu à l’Assemblée sans que le Sénat ait pu en débattre » (J.-J. Hyest). Quelques propositions relatives à la détermination du statut de l’animal devraient alors être précisées : « N’y a-t-il pas un risque d’incertitude juridique à supprimer toute référence aux animaux dans les autres articles du code civil relatifs aux biens et à les soumettre ’au régime des biens corporels’ ? » (T. M. Soilihi), et les désigner comme des ’êtres sensibles’ ne fait pas l’unanimité... D’autres propositions sont soulevées pour « l’accès des héritiers au compte bancaire du défunt » et pour les garanties entourant la communication électronique lorsqu’elle « intervient en lieu et place d’une lettre recommandée ». Mais, la divergence à propos de l’article 3 demeure fondamentale. Et dans ce cadre d’une commission mixte paritaire, comment relancer la discussion ? De fait, « s’il est certes possible d’ouvrir le débat, il est clair que cette commission mixte paritaire n’aboutira pas à un compromis acceptable sur l’article 3 » (J.-Y. Jean-Yves Le Bouillonnec). L’heure est au défaitisme, puisque « l’Assemblée maint[ient] sa position sur l’article 3, le Gouvernement procédera par ordonnances » (J.-P. Michel).
Ce débat, quelque peu souhaité des deux côtés, se trouvera-t-il décalé dans le temps ? De par les dispositions constitutionnelles, « le Gouvernement devra faire ratifier ses ordonnances : nous en débattrons alors et cela risque de prendre un certain temps au Sénat » remarque l’un (J.-P. Michel). Pour autant, un autre rappelle que l’entrée en vigueur d’une ordonnance commence à sa publication, même si nature législative reste en suspens : « Quant à l’article 3, j’ai entendu les craintes des juristes qui ont examiné l’avant-projet d’ordonnance : qu’il faille la ratifier ne l’empêchera pas de produire des effets dès sa parution » (J.-P. Sueur). Or, il se trouve que « l’ordonnance sera d’application immédiate et (que) l’homologation n’aura lieu que plusieurs mois après » et, dans ce cas, souligne un autre, « qu’en sera-t-il de la sécurité juridique, si nous modifions alors plusieurs articles ? » (T. M. Soilihi).
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Ne serait-ce alors qu’en vertu de ce principe de sécurité juridique, il s’agirait alors de limiter la prolifération des ordonnances de l’article 38 de la Constitution...
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[1] Et, par ailleurs, prévoyant une recomposition du Tribunal des conflits surtout pour « étendre les attributions du Tribunal des conflits afin de mieux résoudre, dans le souci d’une bonne administration de la justice, les difficultés pouvant résulter de la dualité des ordres de juridiction et, en particulier, étendre la compétence du Tribunal aux demandes d’indemnisation pour durée excessive de jugement des procédures s’étant déroulées devant les deux ordres de juridiction ».
[2] Textes : adopté par le Sénat ; adopté par l’Assemblée nationale.
[3] Elle s’est réunie le mardi 13 mai 2014.
[4] Indéniablement aussi économique... et libérale.
[5] Ainsi, un autre s’exclame : « il est extrêmement choquant et même inacceptable, de modifier par ordonnances des dispositions fondamentales du droit des contrats et des obligations » (J. Mézard).
[6] Source : Rapport n° 529 (2013-2014) de M. Thani MOHAMED SOILIHI, sénateur et Mme Colette CAPDEVIELLE, député - Modernisation et simplification du droit. Justice et Affaires intérieures.