Le 10 juillet 2010, par Geneviève Koubi,
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En rejetant les recours dirigés contre le décret de publication de l’accord du 18 décembre 2008 entre la République française et le Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur [1], le Conseil d’État fait bien de la France la fille aînée de l’Église...
Les diplômes du Saint-Siège sont désormais estimés équivalents aux diplômes d’État, ce malgré les protestations qui ont pu être émises de part et d’autre [2]. En effet, par une décision du 9 juillet 2010, Fédération Nationale de la Libre Pensée et autres (req. n°s 327663 et autres), le Conseil d’État défait subrepticement le caractère laïque de l’enseignement supérieur ; il était pourtant le seul explicitement exposé comme tel dans le Code de l’éducation [3].
1.
Le communiqué du Conseil d’État, concomitant de la décision, vient non pas expliciter le raisonnement conduit pour l’examen de l’accord, mais rendre compte des limites que le Conseil d’État a dégagées pour éviter d’avoir à se pencher sur le sens plus que sur le contenu précis du protocole additionnel à l’accord. Car, la publication réalisée présente deux textes différents en annexe : celui de l’accord et celui du protocole additionnel, ce dernier étant plus détaillé que le premier.
Selon le communiqué, si « la France et le Saint-Siège ont signé le 18 décembre 2008 à Paris un accord sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur, accompagné d’un protocole additionnel d’application », ces stipulations « organisent la reconnaissance mutuelle des périodes d’études, des grades et des diplômes de l’enseignement supérieur délivrés sous l’autorité de l’une des parties signataires ». Elles n’ont pas fait l’objet d’une loi autorisant sa ratification. Ce défaut n’en est pas un. Le Conseil d’État ne s’arrête pas à ce constat.
Le décret n° 2009-427 du 16 avril 2009 portant publication de l’accord entre la République française et le Saint-Siège sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur (ensemble un protocole additionnel d’application), signé à Paris le 18 décembre 2008, a donc été publié au Journal officiel du 19 avril 2009. En visant ce décret de publication, les requérants ont amené le Conseil d’État à rappeler « la portée du contrôle juridictionnel qu’il exerce sur les décrets de publication des traités et accords internationaux ».
Le Conseil d’État ne peut ni contrôler la conformité d’un traité à la Constitution, ni vérifier la conformité d’un traité à d’autres engagements internationaux conclus par la France... Le Conseil d’État a donc refusé « d’examiner la conformité de l’accord conclu entre la France et le Saint-Siège à la Constitution française ». Il ne s’est pas non plus permis d’examiner « sa conformité à la convention de Lisbonne du 11 avril 1997 sur la reconnaissance des qualifications ». Il statue principalement« sur les critiques de forme et de procédure soulevées à l’encontre du décret de publication, pour les juger non fondées et donc les écarter. »
Pourtant, l’accord du 18 décembre 2008 portait atteinte aux dispositions de l’article L. 613-1 du Code de l’éducation, qui confèrent à l’État le monopole de la collation des grades et des titres universitaires. « Le Conseil d’État juge que ce n’est ni l’objet ni l’effet de cet accord, qu’il interprète comme n’instituant pas un régime de reconnaissance automatique des diplômes ». Le protocole additionnel permet de distinguer entre le diplôme, le niveau d’étude atteint et "des périodes d’études ne conférant pas un grade". Sur ces dernières, le Conseil d’État ne s’arrête pas [4].
Si, selon le communiqué qui voudrait diriger la lecture à faire de l’arrêt du 9 juillet 2010, « la reconnaissance d’un diplôme délivré sous l’autorité du Saint-Siège, et notamment d’un "diplôme ecclésiastique", reste de la compétence des autorités de l’établissement dans lequel le titulaire de ce diplôme souhaite s’inscrire », c’est oublier que, dès lors qu’un tel diplôme serait reconnu institutionnellement, l’appréciation portée devra obéir aux principes généraux du droit, le principe d’égalité étant là particulièrement exposé. Or, de plus, "mastérisation" des concours d’entrée dans les corps de professeur des écoles aidant, le principe fondamental de la laïcité de l’enseignement public connaîtra, à terme, de larges exceptions...
L’accord du 18 décembre 2008 déroge au principe de laïcité. Ce principe est inscrit à l’article L. 141-6 du Code de l’éducation [5]. Le Conseil d’État ne le retient pas en tant que tel. Il se fonde essentiellement sur la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État, passant donc sous silence les dispositions de l’article 1er de la Constitution, pour signaler, curieusement, que « cet accord ne contient aucune stipulation qui permettrait qu’un culte soit salarié ou subventionné ». Tel n’était pas l’objet du débat soulevé ! La question du culte n’est pas centrale dans cette espèce.
De plus, le principe de laïcité ne se réduit pas à une lecture tronquée de la loi de 1905 ; le principe de laïcité prend directement sa source dans la Constitution.
2.
La décision de l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État du 9 juillet 2010, n° 327663 et autres, Fédération nationale de la libre pensée et autres, mérite une autre lecture que celle développée dans ce communiqué [6].
Certes, « les traités ou accords relevant de l’article 53 de la Constitution et dont la ratification ou l’approbation est intervenue sans avoir été autorisée par la loi ne peuvent être regardés comme régulièrement ratifiés ou approuvés au sens de l’article 55 », mais le Conseil n’en tire pas de conséquences en l’espèce... sinon pour dire « qu’il n’appartient pas au Conseil d’État, statuant au contentieux de se prononcer sur la conformité du traité ou de l’accord à la Constitution ». Dès lors, il aurait été logique de s’en tenir là...
Toutefois, le Conseil d’État a choisi se référer à l’article 34 de la Constitution selon lequel « la loi détermine les principes fondamentaux (…) de l’enseignement ». Le positionnement n’est plus fondé sur les relations internationales mais sur les contours d’un "domaine de la loi", et plus exactement, sur les matières dans lesquelles l’intervention de la loi est réduite à la détermination des "principes fondamentaux" (et ne se préoccupe pas de la fixation des ’règles’), domaine dans lequel le pouvoir réglementaire dispose d’une possibilité d’interférence particulièrement étendue. Ainsi, l’analyse de l’accord sur la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur entre la République française et le Saint-Siège du 18 décembre 2008 est-il singulièrement détaché des principes directeurs de l’éducation nationale [7].
Ce détachement ressort d’un "considérant" alambiqué qui tendrait à minimiser la portée du protocole additionnel : « les stipulations de l’article 2 du protocole additionnel..., qui sont de caractère informatif, n’édictent pas d’obligations particulières à l’égard des établissements d’enseignement supérieur public ; ... les stipulations de l’article 3 de ce protocole sont relatives aux conditions de validation d’études ayant été sanctionnées par l’obtention d’un "diplôme ecclésiastique", par voie de reconnaissance de ce diplôme, en vue de l’accès aux différents niveaux de l’enseignement supérieur public ; ... la reconnaissance d’un "diplôme ecclésiastique" est, en vertu de ces stipulations, de la compétence des autorités de l’établissement dans lequel souhaite s’inscrire son titulaire ; ... celles-ci, pour décider de reconnaître le diplôme du candidat, doivent tenir compte, d’une part, de l’équivalence de niveau édictée par le protocole, et, d’autre part, de l’aptitude du candidat à suivre des enseignements dans le grade et la formation postulés, appréciée en particulier au regard du contenu des études suivies ; ... ces stipulations n’autorisent pas des établissements d’enseignement supérieur privé à délivrer des diplômes nationaux et ne permettent pas aux bénéficiaires de titres délivrés par des établissements d’enseignement supérieur privés ayant reçu une habilitation par le Saint-Siège de se prévaloir, de ce seul fait, des droits attachés à la possession d’un diplôme national ou d’un grade universitaire... »
Mais, lorsque « sont reconnus de même niveau : a) Le doctorat français et les diplômes ecclésiastiques de doctorat ; b) Les diplômes français de master (300 crédits ECTS) et les diplômes ecclésiastiques de licence ; c) Le diplôme français de licence (180 ECTS) et les diplômes ecclésiastiques de baccalauréat » (art. 3 du protocole additionnel), la question reste posée puisque les autorités compétentes pour la reconnaissance des diplômes sont : « (...) - en France : le Centre national de reconnaissance académique et de reconnaissance professionnelle - Centre ENIC-NARIC France près le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) ; - auprès du Saint-Siège : le bureau du Saint-Siège pour les reconnaissances académiques, qui se trouve auprès de la Nonciature en France. » (art. 3 du protocole additionnel). Ceci ne concerne pas les éléments relatifs à la "poursuite des études" [8]. En fait, une distinction plus nette entre diplômes, niveau d’études et période d’études aurait été nécessaire pour retracer les passerelles que cet accord, ajouré de son protocole, assure aux étudiants des universités catholiques, universités qui ne peuvent pas répondre aux mêmes évaluations que les établissements publics d’enseignement supérieur.
Certes, l’équivalence ne signifie pas l’attribution du diplôme universitaire. Mais, en tout état de cause, l’accès assure aussi une entrée. Si, par ailleurs, le Conseil d’État rappelle les dispositions de l’article L. 731-14 du Code de l’éducation : « les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent en aucun cas prendre le titre d’université », il révèle l’enjeu même de l’accord : la validation des formations dispensées dans les établissements d’enseignement supérieur ’catholique’ passe par l’équivalence des diplômes. Comment admettre ce chassé-croisé qui transforme la teneur même des savoirs et des compétences acquis par les étudiants concernés ?
En ce que le Conseil d’État choisit se référer à la loi de 1905 plutôt que rappeler les termes de la Constitution [9] ou ceux du Préambule de 1946 [10], préférant ainsi se pencher sur une question cultuelle qui n’a pas vraiment sa place dans le système éducatif, toute la dynamique propre au principe de laïcité dans l’enseignement public à tous les degrés est décalée.
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[1] JO 19 avril 2009.
[2] V. par ex. au 27 mai 2009, Recours contre l’accord entre le Saint-Siège et le gouvernement français ; Gk, « Vers des diplômes en dés-accord vaticanesque ».
[3] ... aux termes de l’article L. 141-6 du Code de l’éducation : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ... »
[4] A ce propos, le protocole additionnel stipule que « l’autorité compétente pour la reconnaissance des périodes d’études est : - dans les établissements d’enseignement supérieur français : l’établissement d’enseignement supérieur au sein duquel le demandeur souhaite poursuivre ses études ; - dans les universités catholiques, les facultés ecclésiastiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint-Siège : en accord avec la Congrégation pour l’éducation catholique, le bureau du Saint-Siège pour les reconnaissances académiques, qui se trouve auprès de la Nonciature en France. » (art. 4)
[5] « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ».
[6] V. G. Guglielmi, Le droit s’écrit-il dans les communiqués de presse ?.
[7] Lesquels sont pourtant clairement signifiés dans le Préambule de 1946.
[8] Donnés dans les derniers alinéas de l’article 3 du protocole.
[9] art. 1er : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
[10] Deuxième proposition de l’alinéa 13 : « L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. » V. aussi, art. L. 141-1 du Code de l’éducation : « Comme il est dit au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, " la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation et à la culture ; l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ". ».