Le 20 avril 2012, par Geneviève Koubi,
Certaines circulaires passent inaperçues, sont vite oubliées, d’autres paraissent banales ou sont volontairement occultées. Mais il en est d’autres, qui, parce qu’elles font l’objet d’une annonce spécifique quant à leur prochaine parution, font "couler de l’encre" - ce, avant même qu’elles ne soient émises, publiées, diffusées.
Tel est le cas de la circulaire envisagée par le ministre de l’éducation nationale à propos d’une méthode d’enseignement de l’orthographe dans les classes primaires. Un communiqué de presse du 16 avril 2012 du ministre prévient ainsi que l’orthographe devient un des maillons essentiels des leçons. Le ministre prétend ainsi devoir assurer aux élèves la maîtrise de la langue française et, dans cette optique, projette de "Refonder l’enseignement de l’orthographe à l’école".
Dans ce communiqué - qui, sans doute, se trouvera nécessairement quelque peu "recopié" dans la circulaire indiquée comme de parution imminente -, le ministre présente « la maîtrise de l’orthographe [comme] un enjeu majeur pour la réussite des élèves et a un impact significatif sur la maîtrise globale de la langue française. » Aussi estime-t-il indispensable de « recentrer l’activité pédagogique des professeurs des écoles sur un enseignement explicite et structuré dont les résultats pourront être observés à travers les évaluations nationales et internationales. » L’horizon de la remise en ordre est borné par l’évaluation.
Pour parvenir à faire remonter la France dans les classements, il avertit la communauté éducative en son ensemble qu’ « une circulaire adressée, dans les prochains jours, à tous les enseignants des écoles primaires définit les principes clés pour favoriser cet enseignement. Ainsi, l’orthographe doit constituer un enseignement spécifique et doit s’apprendre à partir de notions claires ayant leurs propres règles permettant aux élèves de mieux comprendre et de rédiger des écrits. Enfin, elle doit s’enseigner de manière complémentaire à la grammaire et au vocabulaire. » [1]
L’encre violette qui s’étalait sur les cahiers d’écoliers d’antan a-t-elle décoloré ? Si elle n’enjolive plus les lignes d’une grammaire désormais "révisée", elle reste en toile de fond de la rengaine selon laquelle "le niveau baisse". La "baisse du niveau" concerne de fait, au rythme des statistiques dépendantes des processus d’évaluation mis en œuvre, toutes les matières. Après les remises à niveau des enseignements, voici donc que l’orthographe focalise l’attention... tandis que les développements des écoles numériques et les projets d’une informatisation générale des enseignements se multiplient. Apprendre à lire, apprendre à écrire sont intimement liés... mais les configurations de ces enseignements ne pourraient se réaliser essentiellement par le biais des écrans d’ordinateur, surtout si les méthodes retenues s’effectuent suivant le jeu des correcteurs d’orthographe automatiques souvent défaillants...
Suivant cette circulaire non encore consultable, l’objectif est peut-être de formater les modes de transmission des accords (pluriels, conjugaisons, groupe adjectival, verbes pronominaux, adjectifs numéraux, mots invariables, etc.) à l’attention des élèves dont le vocabulaire se construit médiocrement à l’écoute de certains discours en ces temps électoraux, l’image et le son l’emportant sur l’écrit. Les développements insérés dans la plaquette d’orientations pédagogiques annexée au communiqué ministériel du 16 avril 2012 insistent sur le fait que « l’orthographe dans sa pratique quotidienne en classe suppose une attention portée aux normes orthographiques dans les lectures et à leur respect dans les productions écrites demandées aux élèves ; elle s’applique dans tous les domaines d’enseignement dès le cours préparatoire. Cette attention doit être partagée par le maître comme par les élèves. Il s’agit de développer une attitude de vigilance commune et permanente à l’orthographe. » [2] Cet enseignement doit être "explicite et progressif", le mot-clef étant, comme à l’accoutumée dans ces sphères éducatives, la réussite : « l’orthographe est aussi une pratique implicite que l’école doit développer pour faciliter la réussite. »
Avant même que la circulaire ne soit publiée, donc, un dépliant en forme de programme, dit "plaquette d’orientations pédagogiques diffusée à tous les enseignants de cycle 3", accompagne le communiqué ! Ce dépliant s’intitule "L’orthographe et son enseignement".
La circulaire - à ce jour donc non encore publiée [3]- a été, dès la sortie du communiqué du 16 avril 2012, l’objet de diverses notes dans divers organes de presse/ sites internet. Ainsi, en l’espace de quelques jours (16-20 avril 2012), sans les dénombrer, il est possible de relever quelques articles en répétition : Le Huffighton post :« ... veut "refonder" l’enseignement de l’orthographe à quelques jours du premier tour » ; L’Express : « L’orthographe et vous, ça fait combien ? » ; Le Figaro :« Orthographe : comment améliorer le niveau des élèves » ; La Croix : « Pourquoi une nouvelle circulaire sur l’enseignement de l’orthographe ? » ; Le Progrès : « Orthographe : la circulaire qui remet les points sur les "i" ». Les syndicats ne restent pas muets non plus : SNE-FAEN : « Refonder l’enseignement de l’orthographe » ; UNSA : « L’orthographe au centre, le retour de la pensée magique ! » ; SNUIPP-FSU : Orthographe : ... se met à la faute ; [4]...
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Est-ce que c’est un communiqué fait "comme une niquée" ?!
La circulaire n° 2012-067 du 27 avril 2012relative au renforcement de l’enseignement de l’orthographe à l’école a été publiée au BOEN du 3 mai 2012. Elle reprend les principales idées du communiqué du 16 avril 2012. Elle précise les deux composantes de cet enseignement : « - l’orthographe lexicale, qui participe à l’automatisation de la reconnaissance des mots tout comme à l’accès au sens. Son apprentissage nécessite la mémorisation de la forme des mots les plus fréquents, réguliers et irréguliers, dès le cours préparatoire. Les activités de mémorisation, conduites au cours des cycles de l’école élémentaire, contribuent à l’enrichissement du vocabulaire par la fréquentation de mots plus rares. Cela implique une action pédagogique adaptée pour apprendre à mémoriser toutes les lettres du mot, à les restituer sans erreur et à utiliser le mot dans un contexte susceptible d’en modifier l’orthographe ; - l’orthographe grammaticale, qui entretient des liens étroits avec la compréhension des relations grammaticales entre les mots et la mémorisation des formes verbales. Elle porte principalement sur les accords en genre et en nombre dont la connaissance favorise la compréhension des phrases et des textes. » Il n’existe donc pas de réforme de l’orthographe... Encore faudrait-il apprendre les prononciations de bien des mots !
La différence entre "défaite" et "des fêtes" n’a pas besoin d’images ...
[1] Toutefois, d’autres circulaires, certes ne portant pas exclusivement sur l’enseignement de l’orthographe, sont tout autant soucieuses de la connaissance de la langue française, et rendent notamment compte de la "nouvelle orthographe" - depuis 2008.
[2] L’enrichissement de la langue française semble pourtant avoir connu une pause durant ces dernières années...
[3] Il faudra donc scruter le Bulletin officiel prochain celui du jeudi 26 avril 2012.
[4] Et autres : Le café pédagogique : « A J-7, ... veut "refonder" l’enseignement de l’orthographe » ; blog M. Abhervé : « Réformer l’orthographe en six jours » ; nouvousils :« ... propose une réforme de l’enseignement de l’orthographe » ; 20 minutes : « Comment aidez-vous vos enfants en orthographe ? » ; Terrafemina : « Orthographe : une circulaire pour améliorer le niveau des élèves »...