Le 4 avril 2013, par Geneviève Koubi,
Une circulaire, en date du 11 mars 2013, voudrait redire l’importance de la lutte contre l’immigration irrégulière. Annoncée par les médias dès sa signature et lors de sa diffusion auprès des préfets, cette circulaire a été mise en ligne sur le site de Legifrance correspondant seulement le 2 avril 2013, - illustrant encore une fois la difficulté que ressent le ministère de l’intérieur à assurer rapidement la mise en ligne des circulaires adressées aux préfets et concernant le droit des étrangers.
.
Typique des postures d’autorité, le pronom personnel ’je’ étant maintes fois énoncé dans cette circulaire INTK1300190C du 11 mars 2013, le discours qui y est retranscrit reprend l’antienne des ’priorités’, celle de la lutte contre l’immigration irrégulière devant permettre de réserver un meilleur accueil aux étrangers entrés sur le territoire pourvus des titres exigés.
Cependant, tout aussi impérieux que soit le ton général de la circulaire, l’objectif affiché est d’abord de mettre un frein aux passeurs de frontières et aux exploiteurs de la peur et de la misère : « il est du devoir de l’État de faire cesser l’exploitation d’une population de migrants irréguliers, victimes de réseaux qui profitent de leur détresse » et, ensuite, de remodeler les comportements et les attitudes à l’égard des étrangers dépourvus de titre de séjour, puis, enfin de proposer quelques mesures pour aborder la situation irrégulière dans laquelle plongent les demandeurs d’asile à la suite d’un rejet de leur demande et évoquer les aides au retour dont le montant est diminué et l’attribution unique - par référence à l’arrêté du 16 janvier 2013 relatif à l’aide au retour [1].
La circulaire du 11 mars 2013 comporte cinq parties : I*/ La lutte contre les filières, la traite d’êtres humains et le travail illégal ; II*/ L’éloignement des étrangers en situation irrégulière ; III*/ Le cas particulier des demandeurs d’asile déboutés ; IV*/ Les départs volontaires aidés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration ; V*/ Mesures de suivi.
Seules les deux premières parties correspondent à l’objet de la circulaire de la lutte contre l’immigration irrégulière, la première visant les formes de l’immigration clandestine organisée et la seconde s’intéressant aux individus. En fin du texte, rappelant combien la lutte contre l’immigration clandestine s’entend en termes de ’priorité’, le ministre de l’intérieur exprime sa résolution à l’adresse des préfets en usant du mot ’instruction’ : « Je vous invite à appliquer les instructions qui précèdent de façon déterminée tout en veillant au respect des personnes et de leurs droits ».
.
* Trafics de migrants, filières d’immigration clandestine, traite des être humains, travail illégal, aide au séjour irrégulier [2] sont rassemblés dans un même paragraphe. Cependant, chacun de ces thèmes fait l’objet de quelques mentions qui leurs sont propres.
Pour ce qui concerne la traite des êtres humains, renvoi est fait au paragraphe correspondant de la circulaire INTK229185C du 28 novembre 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile - ce texte n’étant pas une "circulaire de régularisation des sans-papiers".
Sur la question de la lutte contre le travail clandestin, deux circulaires avaient précédemment fait état du Plan national de lutte contre le travail illégal : la circulaire JUSD1303825C du 5 février 2013 relative au plan national de lutte contre le travail illégal 2013-2015 et la circulaire INTK1300188C du 11 février 2013 relative à la mise en œuvre du Plan national de lutte contre le travail illégal [3]. La circulaire du 11 mars 2013 ne fait référence qu’à celle du 11 février 2013, émanant du ministère de l’intérieur. Elle insiste sur les sanctions applicables aux employeurs concernés et préfère s’arrêter aux mesures administratives - citant ainsi la décision de fermeture de l’établissement. Et, pour modérer la force des verbes, l’accent ayant été mis sur le renforcement des pouvoirs de sanction administrative des préfets, il est rappelé que ces investigations auraient aussi pour but de protéger les droits sociaux des travailleurs irréguliers au titre de la lutte contre l’esclavage moderne ...
* Car, « si elle constitue un impératif, la lutte contre l’immigration irrégulière doit toujours être menée dans le respect des droits et de la dignité des personnes ». C’est ainsi que la circulaire conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice du 21 février 2006 relative aux conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière, réponse pénale n’est plus une des bases de l’action des préfets en matière de droit des étrangers [4] ; la pénalisation du séjour irrégulier et les modalités de garde à vue ne seraient plus à l’ordre du jour : « ... la vocation première des guichets ouverts aux étrangers est l’accueil des personnes et l’instruction des demandes. (...) il ne saurait y avoir d’interpellations dans ces locaux ou à leur sortie de l’étranger effectuant des démarches concernant son droit au séjour ».
La deuxième partie est de tonalité plus classique en la matière. Concernant l’éloignement des étrangers sans titre de séjour, elle incite les préfets à poursuivre sans relâche leur travail de repérage de ces derniers : « la tâche qui vous revient est d’assurer l’effectivité des éloignements des étrangers dépourvus de tout droit au séjour au terme d’une procédure respectueuse de leurs droits » - ces droits dont est exclu celui tant attendu : le séjour [5].
La circulaire du 28 novembre 2012 est alors de nouveau citée comme présentant les voies de résolution des questions relatives à une admission exceptionnelle au séjour ; l’annexe 2/ de la circulaire du 11 mars 2013 présente à l’appui un rappel des règles applicables en matière d’assignation à résidence et fait état des particularités établies par la circulaire n° INTK1267283C du 6 juillet 2012 relative à la mise en œuvre de l’assignation à résidence prévue à l’article L.561-2 du CESEDA, en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l’article L.551-1 du même code - ces éléments concernant donc les familles avec enfants [6]. La redéfinition de la rétention administrative revêt alors un certain intérêt dans la mesure où est énoncée à l’endroit des préfets une observation rhétorique : « La rétention administrative ne doit, en aucune circonstance, constituer une sanction du séjour irrégulier, mais une modalité d’éloignement des étrangers qui ne présentent pas de garanties de représentation effectives ». Mais les mots ne modifient pas les situations...
Qualité des procédures et efficacité des moyens utilisés sont les deux piliers d’une politique de lutte contre l’immigration illégale. S’y ajoute aussi l’idée de ’mesures préparatoires’ à l’éloignement des ressortissants étrangers ayant purgé leur peine de prison et étant sous le coup d’une OQTF. L’annexe 1/ de la circulaire concerne donc les "moyens à mette en œuvre pour sécuriser la procédure d’éloignement". Destinée à informer les préfets de l’existence d’outils opérationnels, elle est pétrie d’injonctions, de consignes, d’ordres, de verbes impératifs...
.
* La circulaire circulaire INTK1300190C du 11 mars 2013 relative à la lutte contre l’immigration irrégulière comporte trois annexes destinées à souligner les consignes exposées dans ses différentes parties.
Pour ce qui est de l’annexe 3/ concernant les principaux indicateurs de suivi, quelques données spécifiques doivent être enregistrées. Ce sont des éléments rendant compte - de l’efficacité ce qui permet de recenser les mesures de retenues pour vérification du droit au séjour, d’assignations à résidence, et les mises en échec de la procédure d’éloignement pour défaut de laissez-passer consulaire, - d’un souci quant à la sécurité juridique qui retient les intrusions de la justice administrative, et retraçant les fonctions quantitatives qui font du chiffre la marque de l’action réalisée quant au nombre - de personnes mises en cause pour délit d’aide au séjour irrégulier, - de filières démantelées, - de personnes mises en cause pour délit d’emploi d’étrangers sans titre, - de refus de titre assorti d’une OQTF, - etc.
C’est donc à propos de ces indicateurs quantitatifs qu’il est possible au ministre de l’intérieur de signifier le rejet des stratégies fondées sur une culture du résultat.
Ainsi, dans le texte de la circulaire, le ministre de l’intérieur affirme avoir « mis un terme à la pratique consistant à fixer de manière chiffrée dans chaque département un objectif de personnes à éloigner du territoire national. Cette statistique aveugle et globale, qui mélangeait éloignements forcés et départs volontaires, pouvait entrer en contradiction avec la nécessaire connaissance fine [des] difficultés et l’indispensable appréciation individuelle de chaque situation. Toutefois, la fin de cette politique du chiffre ne signifie pas l’abandon de toute mesure ou de tout indicateur en la matière ».
C’est dit.
...
[1] JO 19 janv. 2013.
[2] ... en en excluant ce qui fut dénommé ’délit de solidarité’ : L. n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier.
[3] V. G. Koubi, « Travail illégal : situations, fraudes et montages "complexes" » - (11 mars 2013).
[4] V. sur le site "uni(e)s contre une immigration jetable" : « Une circulaire monstrueuse sur les interpellations d’étrangers... » (2 mars 2006).
[5] En filigrane, sont donc aussi signalées les questions concernant les ’contraintes préalables à l’éloignement’ par renvoi à la "Directive retour". A propos de la "Directive retour", v. S. Slama, « Droit des étrangers (PGDUE des droits de la défense, Art. 41 CDFUE, Directive 2008/115/CE) : Question préjudicielle sur le droit d’être entendu par l’administration préalablement à l’édiction d’une OQTF », à La Revue des Droits de l’Homme (19 mars 2013). V. aussi sur CPDH : S. Slama, « Directive "retour" : reconduire ou régulariser ? (TA Marseille, 26 janvier 2012, Arthur G.) » (24 févr. 2012) ; S. Slama, « Directive "retour" et "remises" vers un État membre : hors champ ou application de l’article 6§2 ? » (1er juill. 2011) ; M.-L. Basilien-Gainche, « La pénalisation du séjour irrégulier est contraire aux objectifs du droit de l’Union européenne (Directive "retour" : la Cour de Luxembourg met en cause la pénalisation de l’irrégularité entravant l’efficacité du droit de l’UE - CJUE, Première Chambre, 28 avril 2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim) » (29 avr. 2011) ...
[6] Notant que la circulaire INT/K/12/07284/C de même date relative au placement en garde à vue des ressortissants étrangers en situation irrégulière et contrôle spécifique du titre de séjour a été abrogée par la circulaire INT/K/13/00159/C du 18 janvier 2013 relative à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.