Le 2 octobre 2009, par Geneviève Koubi,
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L’argent deviendrait-il le moteur de l’assiduité aux cours ? Une dépêche AFP du 2 octobre 2009 annonce que trois lycées professionnels de l’académie de Créteil vont expérimenter, à partir de lundi prochain, le 5 octobre, la mise en place, par classe, d’une « cagnotte collective contre l’absentéisme ».
Cette expérimentation reçoit l’approbation du Haut commissaire à la Jeunesse. Elle ne trouve pas d’écho dans les principales propositions du Livre vert sur la jeunesse ; elle est préfigurée par l’appel à projets du 6 avril 2009 dit de ‘première vague’. Afin de réduire les sorties prématurées des systèmes de formation initiale, quelques-unes des priorités devant être développées dans les projets étaient exprimées en ces termes : « - Sécuriser l’orientation vers l’alternance et prévenir les ruptures - Prévenir le décrochage scolaire et organiser les collaborations pour suivre les jeunes décrocheurs - Développer les incitations au maintien dans le système scolaire ».
Plus généralement, l’annonce de l’AFP est sans doute trop liminaire pour rendre compte de l’orientation précise retenue. Toutefois, ainsi présentée, l’expérimentation envisagée rencontre quelques objections ... juridiques.
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Parmi la centaine de projets retenus pour le fonds d’expérimentation pour la jeunesse, certains (re)situaient la lutte contre l’absentéisme scolaire en une priorité essentielle pour une reconstitution du tissu sociétal dans des quartiers donnés. Cette perception répond à celle que les différents ministères concernés développent depuis quelques années, sans s’inquiéter des raisons pour lesquelles les uns tiennent les murs et les autres les détiennent.
Confortant ainsi les intentions ministérielles, exposées de circulaires en circulaires, de recensement et de suivi des non-élèves, les projets qui se focalisent sur la lutte contre l’absentéisme, en arrivent, quelles que soient les méthodes préconisées, à frôler les techniques de surveillance et de contrôle des conduites personnelles. Les projets déposés et, par la suite, les expérimentations engagées, poursuivent d’autres finalités et sans doute, envisagent-ils des procédés destinés à masquer quelque peu ce dessein. Mais, en ce que l’enjeu est ’financier’, ils ne peuvent que s’inscrire dans la philosophie dominante de l’appel initial. De même, ils ne peuvent initier de nouvelles politiques publiques qu’après une analyse ’administrative’ des résultats obtenus, redressements et chiffres à l’appui.
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Le projet déposé par l’académie de Créteil portait effectivement sur la lutte contre l’absentéisme [1] — plus que contre le décrochage scolaire [2] ; mais révélait-il déjà une conception de l’assiduité en terme de présence physique [3] ? Se fondait-il sur les recensements opérés des absents notoires ? Envisageait-il déjà ’rémunérer’ la présence de tous ou de quelques-uns pour tous, sans échanges d’arguments préalables ou réflexions approfondies sur les objectifs de la part des principaux intéressés [4] ? A la marge, revêt-il même un sens alors que les sirènes de la « précaution » accentuent la gestion cahot-TIC de la pandémie grippale ?
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La traduction de cette expérimentation en formulations journalistiques — comme par exemple celle-ci : L’académie de Créteil prête à payer pour que ses lycéens aillent en cours — dit combien la perplexité est de mise. Car, de fait, ce qui doit être souligné c’est l’introduction de l’argent comme facteur incitatif dans le processus éducatif. L’idée même qu’à l’école, au collège ou au lycée, une récompense, même collective, puisse être de « monnaie » donne sérieusement à réfléchir sur la conception de l’éducation défendue par les porteurs du projet comme par ceux qui l’ont validé. Cela est d’autant troublant que l’idée de ’mérite’ n’y est pas insérée ; pourtant cette notion de mérite pourrait tout autant détenir une qualité collective. Aucune attention n’est portée à l’enseignement dispensé, à l’enseignant comme si l’équivalence "appel fait = tous présents" était le pilier de la lutte contre l’absentéisme [5]. Donc, dans ce profilage, ce qui est directement saisi c’est la "conduite", le "comportement". Et loin de responsabiliser les uns par rapport aux autres, la tentation de l’exercice du pouvoir et de l’affirmation de la dominance risquerait de trouver là quelques nouveaux espaces où s’insinuer. L’école du chantage plus que de l’échange aurait-elle donc commencé ?
Par delà ces observations, engager une telle action de « caisse » reviendrait encore à porter atteinte à la neutralité du service public de l’éducation. Le principe de neutralité ne se décline pas seulement dans des champs politiques et religieux, il détient une dimension comptable et financière substantielle ; il peut ainsi obliger les établissements scolaires à respecter les enjeux d’une neutralité commerciale. Si, comme le laisse entendre la dépêche AFP, la proposition revient à inciter une classe à « cumuler des mises » en faisant plus ou moins pression sur les absentéistes éventuels ou confirmés pour qu’ils nuisent pas au rêve d’un voyage scolaire, au projet d’une création d’entreprise ( !) ou d’association, à une opération d’aménagement de la classe ou à l’achat de matériel informatique, sportif ou culturel, où est l’objectif du ’savoir’, de la connaissance, de la culture à acquérir. Le bilan de compétences n’est-il fait que d’obéissance aux mirages d’une sortie ou de l’acquisition d’un matériel ? Le ’contrat’ passé entre la classe (ensemble ou majorité des élèves ?), les enseignants et les membres de l’administration [6] reviendrait à susciter une mise sous surveillance de quelques-uns “uniquement pour assurer de leur présence dans un local dit collège” et sans se préoccuper de leur capacité d’écoute ou des formes de leur attention [7]. Leur contribution à l’alimentation de la cagnotte ne signifierait pas pour autant leur participation au projet final…
Le principe retenu ne répond sans doute pas à une logique individualiste, mais si la finalité relève d’un projet collectif de classe, il n’est pas certain que cette méthode d’incitation à la présence éveille un sentiment de solidarité voire une solidarité de groupe, comme voudrait le croire le représentant du Haut commissaire...
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L’absence aux cours comme la présence en classe se monnayeraient-elles désormais ?
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[1] V. la brève d’actualité : Fond d’expérimentation pour la jeunesse : 165 projets sélectionnés.
[2] V. en la matière, instr. n° 09-060 JS du 22 avril 2009, Prévention du décrochage scolaire et accompagnement des jeunes sortant sans diplôme du système scolaire.
[3] Car c’est ce qui est sous-entendu dans la dépêche AFP
[4] On pourrait le penser au vu de la date, mais est-ce bien durant le premier mois de l’année scolaire que se dessinent les résolutions personnelles en forme d’engagement ?
[5] Ne peut-on être absent en rêvant à d’autres décors ?
[6] sont-ils les adultes référents ?
[7] ... alors que l’innovation est à portée de main : lutter contre l’absentéisme par les TIC ne semble pas impossible.