Le 9 février 2012, par Geneviève Koubi,
La mastérisation a encore frappé !
Une proposition de loi (n°4151) relative à la modification de certaines dispositions encadrant la formation des maîtres, viendrait offrir au secteur privé le domaine de la formation des maîtres dans le secteur public. Le gouvernement, très intéressé par la proposition, a engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi !
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C’était dans le but de « tirer les conséquences de l’intégration des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) au sein des universités, prévue par la loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école », que la modification du Code de l’éducation suggérée dans la proposition de loi avait été prétendument envisagée. Selon l’exposé des motifs initial, l’organisation de la formation des maîtres, c’est-à-dire la « formation dispensée aux étudiants et aux personnels stagiaires admis aux concours enseignants », devait alors se comprendre « dans le cadre d’un référentiel arrêté conjointement par les ministres chargés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur afin de donner aux universités un cadre de référence. » [1] C’était donc, selon la première version de cette proposition de loi, dans un "cadre de référence" que cette formation devait être remaniée. Le recours à un "référentiel" risquait ainsi de se répéter [2] et ce, sans même que la notion ait été précisément définie ni même correctement évaluée. Cependant, les résonances de ce terme abscons de "référentiel" n’ont pas eu l’heur de plaire à la commission des affaires culturelles et de l’éducation. A ce terme de "référentiel" a été substituée l’expression de "cahier des charges de formation" - qui était celle déjà utilisée... En fin de compte, ces atermoiements autour d’un mot colorent plus encore le procédé d’une vision mercantiliste de la formation professionnelle.
De plus, ce ne serait plus vraiment "dans le cadre des orientations définies par l’État" que les formations seraient délivrées [3]. Par ailleurs, les actions de formation seraient assurées par des établissements d’enseignement supérieur dont la qualité "publique", pourtant seule garante d’une possible mise en valeur de la notion d’intérêt général, n’est guère annoncée comme substantielle. Les établissements qui délivreraient des formations aux sonorités morales et/ou confessionnelles seraient-ils donc intégrés dans ce schéma qui intéresse pourtant directement l’école publique et laïque ?
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Le texte sur lequel l’Assemblée nationale est appelée à voter, aussi court se présente-t-il, et tel qu’il résulte de sa lecture devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation (n°4235), traduit les orientations d’une politique publique entièrement tournée vers la dégradation du service public [4].
L’article L. 625-1 du Code de l’éducation est dans le viseur. Il dispose encore à ce jour : « La formation des maîtres est assurée par les instituts universitaires de formation des maîtres. Ces instituts accueillent à cette fin des étudiants préparant les concours d’accès aux corps des personnels enseignants et les stagiaires admis à ces concours. /La formation dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres répond à un cahier des charges fixé par arrêté des ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale après avis du Haut Conseil de l’éducation. Elle fait alterner des périodes de formation théorique et des périodes de formation pratique. » Si sa modification est adoptée, il serait désormais ainsi rédigé : « La formation des maîtres est assurée par les établissements d’enseignement supérieur, notamment par les universités, qui à cette fin accueillent des étudiants préparant des masters orientés vers les métiers de l’enseignement. Ces établissements préparent, en outre, les étudiants aux concours d’accès aux corps des personnels enseignants et participent à la formation des personnels enseignants stagiaires admis à ces concours. / La formation dispensée aux étudiants et aux personnels stagiaires admis aux concours enseignants répond à un cahier des charges arrêté par les ministres chargés de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale. » [5]
Le « notamment par les universités... » justifie les craintes des enseignants car il ouvre sur une interprétation croisée signifiant, de facto, "pas exclusivement".
Ainsi, le marché de la formation professionnelle des enseignants serait donc largement ouvert à tous vents ... sans qu’il soit possible d’en éviter les dérives [6]. Puis... les officines de formation fleuriront sur les décombres de l’école publique.
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[1] V. les observations de Véronique Soulé sur le "blog : c’est classe !", et les mentions relatives aux réactions du groupe Marc Bloch : « La dernière blague du gouvernement : une réforme "technique" de la formation des maîtres ! »
[2] V. la Lettre ouverte aux enseignants-chercheurs à propos du "Référentiel d’équivalences horaires" (dans les universités) du 1er février 2012.
[3] On peut donc vraiment penser que les instituts universitaires de formation des maîtres seront progressivement supprimés en tant que tels.
[4] Ces brèves observations pourraient conduire à lire ou relire les données du rapport de la Cour des comptes de 2012 à propos de « La formation initiale et le recrutement des enseignants ». Évoquant la réforme des IUFM, lors du débat sur la proposition de loi le 8 janvier 2012, un député a ainsi pu s’exclamer :« Qui peut croire encore cette ineptie selon laquelle on peut faire mieux avec moins ? ».
[5] Et là, nul besoin de l’avis du Haut conseil de l’éducation alors même que l’article L. 230-2 du Code est encore en vigueur. Cet article prévoit toujours que le Haut Conseil de l’éducation « émet un avis et peut formuler des propositions à la demande du ministre chargé de l’éducation nationale sur les questions relatives à la pédagogie, aux programmes, aux modes d’évaluation des connaissances des élèves, à l’organisation et aux résultats du système éducatif et à la formation des enseignants. » Le mot "résultat" bloque-t-il la procédure ?
[6] Toutefois, par une dépêche AFP du 8 janvier 2012, on apprend que le ministre de l’apprentissage et de la formation professionnelle prévoit la constitution d’un "fichier national" qui devrait recenser les offres de formation ; son rôle serait de permettre un "renforcement des contrôles", mais le discours sous-jacent est plus justement de permettre le repérage des institutions de formation placées sous le boisseau de mouvements à caractère sectaire. Ce fichier devrait être accessible sur internet. La justification réside dans l’objet annoncé qui est de « répertorier toutes les formations de qualité » (dites telles par le gouvernement...).