Le 24 octobre 2009, par Geneviève Koubi,
La formule d’une école sanctuaire a fait mouche [1]. Encore fallait-il lui donner un contenu, sans pour cela, au moins pour un temps, focaliser l’attention sur le contenu des cartables [2]...
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Lutter contre la violence scolaire a toujours été considéré comme une priorité gouvernementale. Plusieurs circulaires en avaient déjà fait état. C’est le cas par exemple, de la circulaire n° 2006-125 du 16 août 2006 relative à la prévention et lutte contre la violence en milieu scolaire, de la circulaire n° 2001-165 relative aux mesures de prévention et de lutte contre les actes de violence à l’école et aux abords des établissements scolaires en Ile-de-France du 23 août 2001 ou de la circulaire n° 98-194 relative à la lutte contre la violence en milieu scolaire et au renforcement des partenariats du 2 octobre 1998. Toutefois, alors que le discours était plutôt tourné vers le rôle de l’éducation, compris comme la condition première de la prévention comme sur les conduites à tenir face aux situations de violence, en 2009, la démarche se veut résolument de nature répressive...
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Pour envisager la « protection du milieu scolaire », pour « sanctuariser les écoles », pour parvenir, par delà les normes législatives à une « sécurisation des établissements scolaires » et, surtout, pour assurer le « suivi de la délinquance » dans et à côté des lieux scolaires, la circulaire conjointe du ministère de l’éducation nationale et du ministère de l’intérieur du 23 septembre 2009 a été publiée au BOEN. Cette publication au BOEN revêt une tonalité particulière puisque, comme la plupart des circulaires relatives à la sécurité dans les établissements scolaires, les premiers et principaux destinataires ne sont pas les membres de la communauté éducative mais les autorités administratives des services déconcentrés : préfet de police, préfets de région, préfets de département, recteurs et inspecteurs d’académie, directeur général de la police nationale, directeur général de la gendarmerie nationale [3]...
De plus, confirmant la tendance générale à faire des discours du Président de la République une source essentielle et une certification constante des politiques mises en oeuvre, à côté de la signalisation des références juridiques [4] sont mentionnés : la Déclaration du Président de la République, sur la lutte contre les bandes et les violences, faite à Gagny le 18 mars et le discours du Président de la République lors de la réunion avec les principaux acteurs de la Sécurité, de la chaîne pénale et de l’Education nationale du 28 mai 2009 . Bien sûr d’autres références, d’ordre administratif, sont indiquées comme l’instruction du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Intérieur, du 24 mars 2009 et la circulaire NOR/IOCK/0912892/J du 8 juin 2009.
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La circulaire n° 2009-137 du 23 septembre 2009 (NOR : MENE0922207C) relative à la sécurisation des établissements scolaires et au suivi de la délinquance propose une vision de l’école quelque peu décalée par rapport aux phénomènes sociaux. Ce décalage est déjà particulièrement perceptible dans la définition des nouveaux programmes d’enseignement déclinés en termes de ’compétences’ et évalués sous le label des ’bilans’. Cette circulaire l’accentue en ce qu’elle invite à faire des lieux scolaires non pas en soi un monde clos, dans un périmètre précisé, sur un endroit exclusif mais plutôt un terrain spécifique de recherche des actes délictueux, un champ d’observation des infractions, un circuit destiné à discerner les comportements déviants, un espace dédié aux méthodes de repérage des futurs enfants fautifs, coupables et condamnables.
Certes, « l’école doit assurer aux élèves et à la communauté éducative un cadre structurant et protecteur, garant de l’égalité des chances ». Mais, outre le fait que cette perception se comprend évidemment en rapport avec la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public actuellement sur le bureau du Sénat après son adoption par l’Assemblée nationale, il est difficile de désigner l’école comme le lieu principal de la mise en application des méthodes de police...
Sans aucun doute, « l’école n’échappe pas aux formes nouvelles de délinquance ». Pour autant, tous les établissements scolaires ne connaissent pas des intrusions en bandes, des usages d’armes dans l’enceinte scolaire, des agressions violentes à l’égard des personnels et des élèves. Ces actes constituent « des faits de délinquance qui perturbent l’ordre scolaire et fragilisent les établissements touchés », mais plutôt que prendre exclusivement et précisément des mesures contre ces agissements, une réflexion sur les origines, raisons et motifs de ces actes ne pourrait-elle être menée au préalable ? Encore une fois, par ce type de discours, il apparaît que le phénomène de la violence scolaire, qui n’est pas propre à la France, est entériné comme inéluctable alors que d’autres pistes auraient pu être suivies. Les stratifications sociales, l’aggravation des inégalités, les politiques d’exclusion, la déconsidération, comme les modifications substantielles qu’ont subies les méthodes et les programmes d’enseignement, etc., n’ont-elles pas eu d’influence ? Ces questions n’ont plus à être posées [5].
Les deux ministres évitent ainsi de cerner et de sonder les limites des politiques répressives. Dans un ensemble consensuel, ils proposent de « donner un nouvel essor aux politiques partenariales » entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de l’Intérieur. La phrase clef est celle que le Président de la République a déjà prononcée et répétée : « La sanctuarisation des établissements d’enseignement constitue notre objectif commun ».
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Sanctuariser c’est donc, dans ce cadre, mettre en place un « dispositif de sécurité » tant dans l’école que dans son environnement. Ces dispositifs sont dits indispensables pour réussir à « entraver la liberté d’action des fauteurs de troubles, les interpeller et les traduire en justice ». L’école est alors le pivot d’une politique sécuritaire dont le but est de tenir à distance les exclus du système. L’école-sanctuaire ne deviendrait-elle pas l’annexe du Palais de justice et de la prison ? De fait, si l’on retient la logique de la circulaire « un suivi étroit des faits de violence doit permettre le réajustement des mesures prises si l’évolution de la situation le requiert ». On comprend mieux la nécessité toujours recommencée du fichier Base-élève ou des récents fichiers relatifs à la prévention des atteintes à la sécurité publique...
Ces projections ont commencé. Le premier palier est « la réalisation des diagnostics de sécurité des établissements scolaires ». Les établissements les plus à même de subir des désagréments ont été répertoriés (ce sont surtout des établissements du second degré). Les critères retenus sont relatifs à leur environnement (cités périphériques ; quartiers sensibles ; habitat dégradé ; zones dites de ’non-droit’ ; espaces d’économie parallèle ; circuits des trafics ; etc.). La dynamique scolaire-sécuritaire est pensée dans les superpositions des zones urbaines et dans les classifications en établissements sensibles et zones d’éducation prioritaire, mais le plan de sécurité qui s’ensuivra associera plus étroitement les services de police [6]… On ne s’indignera plus des descentes opérées dans les salles de classe à la recherche de quelques barrettes… La supervision en binôme éducation-police permettra ainsi de signaler les « points de vulnérabilité de l’établissement » ; ces points justifieront alors les mesures techniques « qui pourront inclure des dispositifs de vidéo-protection ».
Les correspondants sécurité-école seront des « policiers ou gendarmes-référents ». Ils ne seront pas là pour surveiller les entrées et les sorties, les récréations ou les animations, mais pour localiser les graines de délinquants et repérer les délinquants avérés [7]. Les rencontres et les échanges entre tous les membres de la communauté scolaire devront alors les intégrer… de telle manière qu’ils puissent se fondre dans le décor. La méthode d’infiltration ne pouvant être réalisée dans les secteurs visés du seul fait qu’il s’agit souvent de jeunes, ce sera par les milieux scolaires que seront désormais initiées les enquêtes… Ainsi, être collégien comme lycéen, c’est bénéficier d’un statut surveillé ... puisque protégé.
Il est ainsi signifié que les opérations de sécurisation aux abords des établissements « bien ciblées dans le temps, … visent à interpeller les auteurs de violences, de racket ou d’infractions à la législation sur les stupéfiants ». De plus, ces opérations pourront « se poursuivre au sein des moyens de transport collectif si la situation le requiert ». Le refrain de la sanctuarisation de l’école est donc le canal principal d’une reconstitution des politiques de sécurité qui font du soupçon permanent la rhétorique de la pacification civile... On ne contestera plus les appels à la délation. Le terrain choisi permet de justifier la présence policière aux abords des lieux de socialisation... La sanctuarisation de l’école offre donc un moyen de mise en place des pratiques policières et une méthode de gestion des politiques pénales.
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Au fond, ce qui forme la raison première de la circulaire, c’est le « suivi de la délinquance ».
Les deux tableaux annexés à la circulaire « permettent le suivi de la délinquance générale et de la délinquance dont les établissements scolaires sont victimes ». Une telle action suppose des méthodes associant repérage, géolocalisation et fichage. Et, de ce fait, plus que les mesures prises ou à prendre, c’est à partir de ces tableaux que commenceront les investigations, les recherches, les incriminations…
[1] V. par ex. sur le site express.fr : « Le gouvernement veut faire de l’école un "sanctuaire de sécurité" »
[2] V. sur le site viescolaire.org : « Sécurisation des établissements scolaires : fouille abandonnée » ; sur le site msn : Plan de sécurisation de l’école : la fouille des cartables abandonnée pour le moment.
[3] L’annonce est aussi faite sur le site du ministère de l’intérieur : Signature d’une circulaire commune entre le ministère de l’intérieur et le ministère de l’éducation nationale.
[4] V. la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
[5] V. sur ce point, l’allocution du Président de la République à Gagny... précitée ou le discours du 28 mai 2009 : « Mais qu’on ne s’y trompe pas, la délinquance ne procède que très rarement de la souffrance sociale. La délinquance résulte simplement de l’attrait de l’argent facile. En tout cas elle ne résout jamais rien. Alors pendant des décennies, l’idéologie dominante était fondée sur l’idée que la misère engendre naturellement la criminalité qui ne peut donc être traitée que par des mesures sociales. Cet angélisme continue d’ailleurs d’imprégner le discours d’une partie des élites françaises. Je dis exactement le contraire... »
[6] V. le document intitulé « Guide pour un diagnostic de sécurité d’un établissement scolaire » mis en ligne sur le site www.eduscol.education.fr.
[7] Pas besoin de se faire un film, la bicyclette volée relèvera des jeux interdits...