Le 3 janvier 2013, par Geneviève Koubi,
Un arrêté du 21 décembre 2012 portant radiation de l’inventaire de biens des collections des musées de France appartenant à l’État écrit le mot "fin" au générique d’un film à multiples rebondissements relatif aux ’têtes maories’ (toi moko) [1].
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Tout avait commencé... par la décision de la ville de Rouen de se défaire d’une tête en dépit des dispositions juridiques en vigueur. En effet, par délibération du 19 octobre 2007, la ville de Rouen ayant passé un accord avec le Musée Te Papa Tongarewa de Wellington (Nouvelle-Zélande), autorisait la restitution de la tête maorie conservée par le muséum municipal d’histoire naturelle. Le Musée Te Papa Tongarewa devait se charger d’identifier la tribu d’origine, puis ainsi de s’assurer de l’inhumation dans le respect des cérémonies rituelles.
Saisi en référé par le ministre de la culture (via le déféré du préfet de département), le tribunal administratif de Rouen avait suspendu la délibération du conseil municipal (TA Rouen 24 oct. 2007), puis il l’annulait parce que la procédure de déclassement préalable prévue par le code du patrimoine n’avait pas été respectée (TA Rouen, ord. réf. 27 déc. 2007, req. n° 0702737). Ce jugement fut par la suite confirmé en retenant que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables » [2] : CAA Douai, 24 juillet 2008, Ville de Rouen, req. n° 08DA00405 [3].
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Par delà les questions relatives à la nature humaine de ces têtes [4], notant toutefois que la Convention de l’UNESCO du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels aurait pu être une source d’inspiration pour élaborer un début de solution au litige [5], il fallut pour que le geste de restitution soit acté régulièrement qu’intervint la loi n°2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections [6].
L’article 1er de cette loi prévoit que « les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande » [7].
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Après avoir remis quelques-unes têtes momifiées ramenées d’Océanie, au XIXe siècle, par des aventuriers, des explorateurs, des marins, des marchands, des spoliateurs, à leur peuple originel [8], pour parfaire l’application de la loi n°2010-501 du 18 mai 2010, il était nécessaire de les radier de l’inventaire d’un des musées qui avait un temps rechigné devant l’injonction législative de restitution.
Ce que fait donc l’arrêté du 21 décembre 2012 : « Par arrêté de la ministre de la culture et de la communication en date du 21 décembre 2012, ayant été déclassées des collections des musées de France appartenant à l’État en application de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections, sont radiées de l’inventaire du musée du quai Branly, auquel elles étaient affectées, sept têtes humaines momifiées et tatouées, Maori, Océanie, Nouvelle-Zélande (numéros d’inventaire : 71.1885.61.1, 71.1885.61.2, 71.1886.24.1, 71.1929.14.427, 71.1947.57.1, 71.1947.57.2 et 71.1999.24.1). »
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[1] JO du 3 janvier 2013.
[2] art. L. 451-5 du Code du patrimoine - L. n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France.
[3] Concl. J. Lepers, AJDA 2008 p. 1896.
[4] V. M. Cornu, « Le corps humain au musée, de la personne à la chose ? », D. 2009 p. 1907.
[5] D’autres instruments pouvaient aussi être cités : Convention OIT C107 relative aux populations aborigènes et tribales du 26 juin 1957 ; Convention OIT C169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants du 27 juin 1989 ; Déclaration universelle sur la diversité culturelle du 2 novembre 2001 ; Conv. UNESCO du 17 oct. 2003 pour la sauvegarde du patrimoine immatériel ; Conv. UNESCO du 20 oct. 2005 pour la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles ; Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007.
[6] JO 19 mai 2010. Rappr. L. n°2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud - (Vénus hottentote), JO 7 mars 2002.
[7] V. le commentaire de cette loi : J.-M. Pontier, « Une restitution, d’autres suivront... Des têtes maories aux manuscrits Uigwe », AJDA 2010, p. 1419 ; M. Bacache, « Corps humain - Têtes maories », RTD Civ. 2010, p. 626 ; X. Bioy, « Le statut des restes humains archéologiques », RDP 2011/1, p. 89.
[8] Les étapes pour ce faire n’étant pas des plus simples : v. par ex. sur lepoint.fr : « Maori : la fin d’une prise de tête ».
[9] - Cours concerné : Droit et diversité.