Le 18 décembre 2013, par Geneviève Koubi,
L’expression "service public" est de plus en plus instrumentalisée. A un tel point qu’elle ne signifie plus grand chose, sinon un prétexte pour tailler dans les dépenses publiques en l’associant, indument, aux politiques publiques.
Cette parodie est à l’œuvre dans les projets lancés par le 4ème Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2013. Il suffit de se pencher sur les formules employées dans le relevé de décisions pour le constater. La première phrase en exprime clairement l’enjeu :« La modernisation de l’action publique poursuit sa montée en puissance, autour d’un double objectif réaffirmé : renforcer l’efficacité des services publics et contribuer à l’effort de redressement des finances publiques ». Nul doute que l’efficacité des services publics s’entend sur le plan économique, sur le plan des économies qu’ils pourraient dégager par tout un ensemble d’actions... D’ailleurs, le CIMAP en convient : « Moderniser l’action publique vise à rendre le meilleur service au meilleur coût. »
C’est ainsi que « le Gouvernement lance douze évaluations de politiques publiques concernant l’ensemble du champ de l’action publique (Etat, collectivités locales, sécurité sociale) ainsi que plusieurs projets d’amélioration de la gestion publique. Il renforce la simplification et l’innovation de l’action publique, pour améliorer la qualité du service rendu au citoyen et soutenir la compétitivité de notre économie. Il accélère la modernisation numérique de l’Etat. Enfin, le Gouvernement souhaite développer le dialogue social sur la modernisation de l’action publique et renforcer la culture managériale dans l’administration. » Finalement, le service public se réduit au service rendu au citoyen. Cette mise en perspective brise tout un pan de la pensée juridique républicaine...
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En s’intéressant aux domaines visés par cette démarche, comment ne pas rester perplexe ?
Ainsi, par exemple, pour ce qui concerne la Justice, le thème de l’évaluation envisagée est "La relation avec le justiciable, de l’accueil à l’audience", les objectifs sont : « Réduire les temps d’attente des 7 millions d’usagers annuels du service public de la justice, améliorer les conditions de travail des personnels et réduire les coûts par une meilleure gestion des flux. » De quels ’flux’ s’agit-il ?
Alors même que le domaine relève indéniablement de l’espace politique, sans relever que nombres ’d’affaires agitent les partis politiques face à la justice, au ministère de l’intérieur il est prévu de revoir "l’Organisation des élections politiques". Ainsi les objectifs sont : « Expertiser les voies et moyens d’une dématérialisation de la propagande électorale, et optimiser la gestion de l’ensemble des opérations électorales (de l’assistance aux candidats, à la centralisation des résultats et aux opérations post-électorales). » La dématérialisation suppose externalisation... et l’optimisation laisse poindre une orientation vers la privatisation...
Les universités ne sont pas oubliées alors qu’elles ploient sous le poids des charges et que les remaniements induits par l’autonomie n’ont pas contribué à une amélioration ni de l’enseignement, ni de la recherche. Un label, fut-il dit d’excellence, n’est qu’une étiquette attribuée au gré des critères idéologiques qui jouent sur la visibilité et la brillance ; il pourrait être le reflet d’une certaine arrogance... institutionnelle et institutionnalisée. Quoiqu’il en soit, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche devra impulser "l’implication des universités dans la formation tout au long de la vie", et dès lors, il lui sera nécessaire « (d’)identifier les freins à la participation des universités et des établissements publics d’enseignement supérieur à l’effort de formation professionnelle tout au long de la vie. » La régionalisation des établissements publics d’enseignement supérieur se poursuit. Si l’objectif est de « doubler d’ici 5 ans le nombre de stagiaires concernés et les recettes tirées de cette activité », le Medef aura bel et bien son rôle à jouer. Les voies de la connaissance s’étrécissent.
Il est quand même difficile d’admettre que soit rangée dans le cadre des simplifications réalisées et attendues, ’pour les particuliers’ [1], « la simplification des intitulés des formations supérieures (qui) annoncée à l’occasion du 1er CIMAP a abouti à un intense travail de concertation, et à l’adoption par le conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) d’une nomenclature de 45 intitulés de licence (contre 1800 aujourd’hui). Cette dernière entrera en vigueur dès la rentrée universitaire 2014. » [2]
Quant aux collectivités territoriales, elles entendent le même refrain que celui que la RGPP leur serinait : le thème est constant : "Mutualisations entre collectivités territoriales au sein du bloc communal", l’objectif est alors le même, il est de faciliter la mutualisation au sein des établissements publics de coopération intercommunale.
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Toutefois, ce "relevé de décisions"veut également présenter un "bilan des évaluations achevées". Satisfecit et satisfaction se conjuguent. Et les efforts commencés doivent être maintenus... et se dérouler sur l’air de l’optimisation.
Optimisation, c’est le mot clef. Il est utilisé en tout domaine, ainsi par exemple, à propos de la rationalisation de la gestion publique, il se marie avec d’autres vocables, la référence n’est plus le sport mais la géographie : « La revue du paysage des agences et opérateurs de l’État et l’optimisation de l’organisation de la fonction de tutelle et des outils de pilotage participent également de ce souhait de rationalisation des modes d’action publics ». Il n’apparaît pourtant pas si judicieux.
De fait, les mots de la MAP rejoignent ceux de la RGPP. Ils sont répétés, ressassés. Il s’agit toujours de "pilotage", de "feuille de route", de "réduction des effectifs de l’État", de "réorganisation" ou de "restructuration" de "mutualisation", de "dématérialisation", de "simplification", de "clarification", de "performance", d’"accélération des procédures" ou de "fluidification", de "territorialisation" ou de "zonage", d’"expérimentation", de "contrôle"... etc.
Ce, jusqu’à chercher à concilier les contraires puisque « la rénovation de la culture managériale et le dialogue social sont indispensables. »
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Avertissement : La projection : « Ouvrir une nouvelle ère pour les services publics grâce au numérique et à l’innovation publique » fera l’objet de développements dans un nouvel article... plus tard.
[1] « Pour les particuliers, plus de 50% des mesures de simplification sont arrivées à terme ou sont en cours de déploiement : - La simplification des demandes d’aide à la mobilité auprès de Pôle Emploi sera mise en œuvre à compter du 1er janvier 2014 ; - A compter du 1er janvier 2014, les cartes nationales d’identité délivrées à des majeurs voient leur durée de validité prolongée de 10 à 15 ans. Cette prolongation s’applique y compris aux cartes délivrées pour 10 ans sans qu’aucune démarche des titulaires ne soit nécessaire ; - Depuis le 5 décembre 2013, le site Net Particulier est en ligne et permet à plus de 5 millions de particuliers employeurs et de salariés de trouver toutes les informations concernant les grandes étapes de leur relation : devenir employeur ou salarié, rémunérer et déclarer, gérer la relation et se séparer ; - Le nouveau site Scope Santé permet à l’usager de s’informer sur la qualité de prise en charge des établissements de santé (plus de 5000 établissements de santé référencés) ; - Sur le site impots.gouv.fr l’administration fiscale a mis à disposition des usagers de Paris et de la région Limousin un outil de recherche des transactions immobilières permettant d’estimer la valeur vénale de leurs biens immobiliers sur la même base que l’administration fiscale et de faire valoir des termes de comparaison en cas de contrôle ... »
[2] Concertation avez-vous dit ? Les avis donnés n’ont pas été positifs, ils ont été contraints...